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de Tourangeau, son esprit de conduite, sa finesse, sa patience politique, son art de ménager les puissances tout en arrivant à ses fins, font songer qu’il est né à quelques pas du château de Richelieu. Sa forte personnalité, sa sincérité hautaine, que seule tempérait sa prudence, son indocilité aux opinions d’autrui, son assurance en soi-même, tenaient non à sa prétendue origine bretonne, imaginée par Victor Cousin, mais simplement à la conscience de son génie. « Je suis devenu si philosophe, écrit-il à Balzac, que je méprise la plupart des choses qui sont ordinairement estimées, et en estime quelques autres dont on n’a point accoutumé de faire cas. » On lui a reproché le sentiment qu’il avait de sa valeur ; il a répondu d’avance et fièrement : — « Il se faut faire justice à soi-même, en reconnaissant ses perfections aussi bien que ses défauts ; et si la bienséance empêche qu’on ne les publie, elle n’empêche pas pour cela qu’on ne les ressente. » « D’ailleurs, ajoute-t-il, ce sont les plus grandes âmes qui font le moins d’état des biens qu’elles possèdent ; il n’y a que les faibles et basses qui s’estiment plus qu’elles ne doivent et sont comme les petits vaisseaux que trois gouttes d’eau peuvent remplir. » Ce génie, qui n’a guère d’égal, réunissait le souci scientifique des détails à la recherche philosophique des plus vastes ensembles. Si Descartes s’est montré tellement curieux de toutes choses, depuis les lois de la musique jusqu’à celles des météores ou à celles du développement de l’embryon, ce n’était point pour chaque chose en elle-même, mais pour la lumière qui peut en rejaillir sur tout le reste, ou plutôt pour celle qui descend d’un foyer supérieur et que le moindre des objets reflète. De nos jours, on a beau vouloir séparer la science positive de la philosophie, l’idéal de la vraie science, celui que Descartes a poursuivi, demeure toujours le même : la philosophie ne cessera jamais d’être nécessaire pour apercevoir les choses dans leur unité. Kant était fidèle à la pensée de Descartes, quand il disait que « les sciences n’ont rien à perdre à s’inspirer de la vraie métaphysique. » Rien, en effet, n’est plus propre à susciter les grandes inventions que le retour aux principes dominateurs de la science. Depuis un demi-siècle, dans le pays même de Descartes, les savans l’ont trop oublié. Il en est résulté que les grandes hypothèses et généralisations scientifiques sont venues d’ailleurs, et qu’à force de a positivisme » nous avons laissé stériles les vérités qui étaient déjà dans Descartes. N’est-ce pas à la France qu’il appartenait d’établir la théorie mécanique de la chaleur ? Cette théorie, nous venons de le voir, est en toutes lettres dans Descartes (qu’on ne lit pas), et elle n’avait plus besoin que de quelques confirmations expérimentales. Et la théorie de la corrélation des forces vives ? Et