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tiques sont l’essentiel ; il me semble enfin qu’en l’étudiant avec soin nous saisissons mieux le dessein qu’avait Auguste quand il remit en honneur ces fêtes oubliées. C’est ce que je voudrais essayer de montrer après M. Mommsen et en m’aidant de ses travaux[1].


I.


On sait qu’Auguste voulait avant tout faire croire qu’il n’introduisait rien de nouveau dans l’État. Comme il tenait à n’effaroucher personne, que sa plus grande habileté consistait à ménager les transitions et à sauver les apparences, il avait soin d’appuyer ses innovations sur les précédens les plus respectables. C’était sa politique de se servir du passé pour le détruire et de fonder la monarchie en ayant l’air de restaurer la république. C’est ce qui lui donna la pensée de rétablir à son profit la vieille institution des jeux séculaires.

Ils avaient été, disait-on, établis vers la fin du IIIe siècle de Rome, à la suite de quelques présages effrayans qui faisaient craindre de grands malheurs. Les Romains, quand ils croyaient les dieux irrités contre eux, bâtissaient des temples ou célébraient des fêtes pour les désarmer. Les jeux qu’on institua cette fois, étant nés dans une calamité publique, avaient un caractère funèbre. On y priait les divinités du monde souterrain, le Dieu Riche (Dis pater), le Pluton des Grecs, celui qui possède « les trésors de l’Orcus, » c’est-à-dire l’empire des morts, dont les habitans sont mille fois plus nombreux que ceux de la terre, et sa femme Proserpine. On les honorait la nuit, quoique Rome répugnât à ces cérémonies nocturnes, qui, chez les Grecs, amenaient tant de désordres ; on ne leur immolait que des victimes de couleur sombre : c’était un contraste parfait avec les joyeuses fêtes d’Hercule à Vira maxima, ou les pompes du culte de Jupiter Optimus Maximus au Capitole.

Ce qui mettait surtout une grande différence entre ces jeux et les autres, c’est qu’ils ne devaient revenir qu’une fois par siècle, — de là le nom qu’ils portaient. — Seulement on n’était pas toujours d’accord sur le sens que ce mot siècle devait avoir. Les Étrusques, auxquels on Tavait emprunté, entendaient par là « la plus longue durée de la vie humaine ; » c’était proprement pour eux une génération d’hommes. Mais les générations ne durent pas toutes le même

  1. Le commentaire de M. Mommsen est inséré dans le 3* fascicule des Monumenti antichi, publiés par l’académie des Lincei. Il en a résumé les conclusions dans un article très intéressant du journal Die Nation, dont j’ai fait beaucoup d’usage.