Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/832

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Saint-Maur, — ouvert une voie qui peut seule conduire à la vérité. Ce mérite n’est pas mince, et l’erreur que combattait mon honorable devancier avait de dures racines.

Parallèlement aux recherches de Leber, pour la France, paraissaient au-delà des Alpes les travaux de Cibrario. Ce dernier, après avoir donné la valeur du froment au moyen âge, dans l’Italie du Nord, exprimée en monnaies piémontaises, dauphinoises, suisses ou autres, converties par lui, selon leur poids et leur titre, en francs de quatre grammes et demi d’argent fin, croit bien faire, pour nous donner le pouvoir d’achat de ces quatre grammes et demi d’argent fin, au XIVe siècle, comparé à leur pouvoir actuel, de les augmenter de toute la différence qu’il vient de constater entre les prix du froment à cette époque et à la nôtre. De ce que l’hectolitre de blé valait par exemple 8 francs en 1350, tandis qu’il valait 16 francs en 1839, Cibrario en conclut que le franc jouissait alors d’un pouvoir double de celui qu’il a aujourd’hui, que 1 franc de 1350 égale 2 francs de 1839 ; et c’est en cette monnaie idéale, en ces francs imaginaires, ainsi déduits des prix comparés du froment, qu’il évalue toutes les autres marchandises.

Par suite de ce procédé, plus le blé est bon marché dans la période dont il s’occupe, plus le coefficient décennal qu’il trouve pour le pouvoir de l’argent est élevé ; et, lorsqu’il applique ce coefficient au prix d’un bœuf, qu’il multiplie, non plus par deux, mais par trois ou par quatre, il en arrive à ce résultat bizarre que ce bœuf paraît d’autant plus cher, que le froment, à la même époque, coûtait moins. Le prix de toutes choses semble, avec ce système, monter ou descendre en raison inverse du prix du froment ; tandis que le contraire serait plus près de la vérité. Ce que Cibrario prend ainsi pour le pouvoir de l’argent n’est réellement que le pouvoir du blé, c’est-à-dire le rapport de ce grain avec les autres objets. Le célèbre économiste italien s’imagine que ce pouvoir étroit et spécial du blé est la même chose que la puissance générale des métaux précieux sur l’ensemble des marchandises, ce qui est absolument faux.

Par exemple, d’après mes évaluations personnelles, le blé vaut à peine aujourd’hui plus du double de ce qu’il coûtait en France, dans la période 1351-1375 (9 francs l’hectolitre). Mais le lard vaut maintenant quatre fois et la viande de bœuf six fois plus. En revanche, le poisson se vendait alors moitié plus cher. Le salaire des manœuvres s’élevait à 90 centimes par jour, c’est-à-dire à plus du tiers de ce qu’il est en 1892, où on l’estime communément à 2 fr. 50 ; mais le revenu de la terre était six fois moindre, et sa valeur dix-neuf fois plus basse qu’aujourd’hui. Durant ces mêmes vingt-cinq années, le kilogramme de chandelle se vendait le double de ce qu’il se