Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/833

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vend chez nos épiciers actuels ; mais le cent de fagots valait neuf fois moins que de nos jours. On voit dans quelle mesure très diverse les anciens prix différaient des nôtres, et combien peu ils se proportionnaient au prix du blé.

Quant à Cibrario, ses calculs vicieux le conduisent dans son livre, justement estimable à d’autres égards, de l’Economie politique au moyen âge, à des affirmations extraordinaires : « On peut, dit-il, conclure qu’en général il n’existe pas une grande différence entre le prix des choses aux XIIIe et XIVe siècles et le prix actuel… L’augmentation incontestable de la richesse publique s’est équilibrée avec l’augmentation, qui en est la conséquence, de la population parmi laquelle cette richesse publique est répartie. La population s’équilibre elle-même constamment avec la quantité des subsistances. Et je pense que les recherches ultérieures, qui pourraient être faites sur une plus grande échelle, pour d’autres siècles, ne conduiraient pas à des résultats beaucoup différens. » Les phénomènes contemporains ont déjà donné à ces lignes d’éclatans démentis. De l’étude de ces phénomènes, M. Paul Leroy-Beaulieu, dans sa Répartition des richesses, a tiré de lumineux enseignemens, que le témoignage du passé, loin de les ébranler, vient ici fortifier encore.

Le prix du blé a servi de base, dans ces dernières années, à des calculs plus inexacts, s’il est possible, que ceux de Cibrario. Dans un volume, fertile en détails excellons, sur la commune de Brétigny (Seine-et-Oise), M. Bertrandy-Lacabane prétend déterminer le pouvoir de l’argent par la différence, non pas même décennale comme Cibrario, mais annuelle, entre le prix de l’hectolitre de froment exprimé en livres tournois, durant les derniers siècles, et le prix qu’il vaut de nos jours et qu’il fixe à 20 francs. Il obtient ainsi un pouvoir de l’argent annuel, basé exclusivement sur le cours du blé et sur ce cours dans une seule commune rurale. En évaluant ainsi en blé le salaire d’un domestique, on constate qu’il était payé très bon marché dans les années où le blé était cher, et très cher dans les années où le blé était bon marché. Poussée à ce degré d’asservissement du pouvoir de l’argent aux caprices d’une céréale, l’évaluation de M. Bertrandy-Lacabane viole, par son exagération même, les simples lois du bon sens.

Mais tous les autres calculs, — et il en a été fait grand nombre, — reposant uniquement sur le blé, ne sont pas, quoique d’aspect moins surprenant, plus dignes de foi que celui-ci.

Le pouvoir particulier de l’argent sur le blé n’est pas le même que le pouvoir particulier de l’argent sur telle ou telle autre marchandise, ni que le pouvoir général de l’argent sur l’ensemble des marchandises. Ce pouvoir général n’est autre chose qu’une