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l’organisation première, il prétend recueillir seul les bénéfices de l’ère de prospérité. Et cette manière de voir peut être justifiée, de même que ce calcul peut être exact. Mais, pour cela, il faut que tout d’abord le gouvernement ait préparé la mise en valeur des terres qu’il détient. S’il les garde par devers lui, l’ère de prospérité, sur laquelle il compte pour donner tant de prix à ses propriétés, sera plus lente à venir. Et, d’autre part, quand elle sera venue, et que le gouvernement qui, au moins dans cet ordre d’idées, « l’aura rien fait pour la préparer, en recueillera le bénéfice, il fournira aux ennemis de la propriété le seul argument d’apparence raisonnable qu’ils puissent mettre en avant : celui du bénéfice mal acquis (unearned increment.)

Il est bien probable que le gouvernement anglais s’est parfaitement rendu compte du double inconvénient de la pratique qu’il a depuis longtemps adoptée aux Indes[1], et s’il y persévère en Birmanie, c’est qu’il a, sans doute, des raisons qui ne sont pas celles que nous avons dites. On peut se demander si ces raisons ne seraient pas d’ordre politique bien plutôt que d’ordre économique. Prévoyant, — ce qui est vraisemblable, — que les acquéreurs de terres seront le plus souvent des Européens ou des capitalistes chinois, il se peut qu’il envisage sans grande satisfaction et même avec quelque défiance la venue de colons ordinairement difficiles à satisfaire, à tout le moins enclins à la critique et toujours portés à saisir l’opinion publique de leurs doléances. Or, établi aux Indes avec des forces, soit civiles, soit militaires, extrêmement limitées et à peine suffisantes, au milieu d’une population de 250 millions d’indigènes et ne la dominant que par le prestige, il doit toujours redouter que ce prestige ne soit compromis. Et comme le prestige n’est, au fond, que la conviction qu’on a su inspirer de son infaillibilité, plus il y aura de critiques, — fondées ou non, peu importe dans la circonstance, — plus il y aura de chances qui conspireront contre la domination britannique aux Indes[2].

  1. Un troisième inconvénient est qu’il pourrait advenir en Birmanie ce qui est advenu à Bombay (où l’on pratiqua la même politique) : que le terrain restât pour compte au gouvernement.
  2. « Un homme qui arrive aux Indes avec 1,000 livres sterling en poche et qui veut acheter de la terre pour faire de l’agriculture peut très bien avoir dépensé tout son argent et n’avoir à montrer en échange qu’un monceau de correspondance officielle : « Pourquoi lui faut-il des terres ? — Qu’est-ce qu’il veut en faire ? — Est-il une personne respectable ? — Suivra-t-il les idées du gouvernement dans tout ce qu’il fait ? — Paiera-t-il un fermage élevé, qu’il réussisse ou non ? » — Et, finalement, la terre qu’on lui aura livrée lui sera retirée sommairement s’il ne remplit pas toutes les conditions inscrites dans le contrat. Tout cela est parfait du point de vue du gouvernement j mais, dans ces conditions, on n’aura pas de colons. — J.-W.-W. Danson. — Rangoon, 26 septembre 1889. (Lettre à The Economist.)