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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/903

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commodes et économiques. Malheureusement ces fleuves, comme la plupart de ceux de l’Indo-Chine, sont, pour employer une expression fort juste, des fleuves inachevés ; ils présentent à la navigation deux grands obstacles : dans la saison sèche, ils ont souvent trop peu d’eau, même pour les bateaux d’un faible tirant ; dans la saison des pluies, ils prennent des allures de torrens. Ils entraînent alors, si l’on peut ainsi dire, leur lit avec eux-mêmes : le sable et le limon s’écoulent jusqu’à la mer, se déposent à l’embouchure, forment des barres redoutées et, en même temps, gagnant sur les flots, accroissent peu à peu le continent ; le reste, pierres, galets et rochers, arrêtés en de certains points par des obstacles naturels, constitue des rapides extrêmement dangereux. Joignez à cela que les eaux, démesurément grossies, franchissent les rives et débordent dans les campagnes.

Contre les inondations, on a les digues. Les Orientaux y sont passés maîtres : ils les construisent et les entretiennent avec des moyens dont la simplicité et l’efficacité doivent faire envie à nos très savans ingénieurs. Les digues atteignent parfois des dimensions prodigieuses. Les fleuves d’Indo-Chine, cependant, coulent dans des lits très encaissés ; leurs rives les dominent de dix, quinze, vingt mètres (parfois davantage : à Thabetyin, en Birmanie, trente-sept mètres). À ces hauteurs, où les eaux semblent ne devoir jamais atteindre, on est tout surpris de voir l’indigène se méfier encore de leurs caprices, et percher sa case, ainsi qu’un oiseau fait son nid, tout au haut de frêles bambous. L’indigène à raison. Vienne la saison des pluies ; le fleuve enfle ses eaux, et sans les digues se précipiterait dans les campagnes inférieures. A 250 milles de la mer, l’Iraouaddy, de la saison sèche à la saison des pluies, monte de plus de 45 pieds, et ses digues, longues de près de 300 milles, dépassent parfois 16 pieds de hauteur. Ce que peut coûter de soin et d’argent l’entretien de pareils travaux, on le devine. Du moins, peut-on, à ce prix, garantir presque absolument la vie et la fortune des habitans.

On est moins heureux dans la lutte contre les eaux basses et les rapides. Les procédés sûrs, mais coûteux, usités en Europe pour corriger le cours des fleuves et leur assurer en tout temps un débit normal, ne sauraient l’être dans ces pays encore pauvres, avec ces fleuves géans. Les rapides, la dynamite peut les supprimer. Les Anglais ne semblent pas l’avoir employée jusqu’ici ; mais au Tonkin, dans les cours d’eau qui rappellent l’Iraouaddy au-dessus de Bhamo, les Français en ont fait le plus heureux usage. Contre les basses eaux, on n’a que la ressource, bien insuffisante, de construire des bateaux d’un faible tirant. Mais cela est peu pratique dans les