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« On a objecté qu’un chemin de fer est une affaire très coûteuse ; que ni l’Inde ni la Birmanie ne peuvent prélever une roupie sur des dépenses qu’il soit possible de différer ; que, dans la plupart des pays, les routes précèdent les chemins de fer, et qu’il n’y a pas de routes en Haute-Birmanie. On a suggéré cette idée qu’il serait peut-être préférable de consacrer les minces ressources dont on peut disposer à des routes transversales se dirigeant sur les principaux centres de commerce et à une grande route centrale que plus tard l’on pourrait convertir en une voie ferrée. Il est assuré que le gouvernement ne doit pas, dans la condition actuelle de ses finances, se lancer dans des travaux qui peuvent être remis ou même évités. Mais, selon moi, ce n’est pas avant trente ans d’ici que l’on aura construit le réseau de routes dont il s’agit, et nulle voie centrale, en quelque circonstance que ce soit, ne peut procurer à la province les avantages commerciaux, politiques, militaires, administratifs, que procurera le chemin de fer proposé. Il y a plus : je crois pouvoir espérer qu’avant dix ans ce chemin de fer sera, au lieu d’une charge, une source directe de recettes, ce que ne sera jamais un système de routes ou une route centrale.

« A la vérité, les Irais d’établissement d’un chemin de fer seraient six à sept fois ceux d’une route centrale de même longueur et trois à quatre lois ceux d’un système de routes transversales convergeant vers une route centrale ; mais le capital consacré à la construction du chemin de fer donnerait, au bout d’un temps assez court, des recettes qui dépasseraient l’intérêt de ce capital, tandis qu’au bout du même temps le simple entretien d’un système de routes représenterait une somme totale de moitié plus forte que le coût initial de construction. Le nouveau chemin de fer enverrait, sur la section de Toungoo à Rangoon, un trafic qui serait aussi une cause de recettes importantes, et cela doit encore être mis au nombre des avantages indirects de ce projet. Ainsi, non-seulement ce chemin de fer se suffirait à lui-même, mais encore il fournirait sur ses excédens de quoi ouvrir les routes qu’il faudra faire plus tard pour l’alimenter et le nourrir ; et, de plus, il serait, dans les districts qu’il traverse, un instrument de pacification et d’enrichissement incomparablement supérieur à celui du système de routes le plus perfectionné qu’on puisse imaginer[1]. »

Les passages qui précèdent sont extraits d’un mémorandum de sir Charles Bernard, en date du 10 juin 1886, six mois après l’entrée des Anglais en Birmanie. Ce mémorandum était adressé au vice-roi, lord Dufferin. Le vice-roi en adoptait les conclusions, et, dès le 6 août, les recommandait, par le télégraphe, au secrétaire

  1. Burmah, 1887, n° 1, C-4962.