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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/913

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personnages puissans, Li-Hung-Chang entre autres, étaient intéressés à sa construction et le sont à son maintien. Or, la ligne que l’on propose, bien des gens, au contraire, sont intéressés à ce qu’elle ne se fasse pas. Pour ne pas trop en allonger la liste, je citerai seulement les mandarins des provinces que la ligne traverserait, et les Anglais ou plutôt les Européens de l’est et du sud-est de la Chine, notamment des communautés de Shanghaï et de Hong-Kong et de tous les ports ouverts. Les mandarins des provinces redoutent par-dessus tout l’introduction de communications à l’européenne, — télégraphes et chemins de fer, — qui leur enlèveront leur puissante indépendance, en assurant mieux la transmission des ordres et le contrôle. Aussi, en toute circonstance ont-ils, sans protester eux-mêmes contre les travaux publics projetés, cherché à entraver même les études préliminaires, en excitant les préjugés populaires[1] et en ameutant les populations contre les projets et les Européens qui les soutiennent[2]. Les persécutions contre les chrétiens se rattachent au même sentiment : il y entre beaucoup moins de haine pour la religion chrétienne que pour la civilisation occidentale. Quant aux communautés anglaises d’extrême Orient, comme toute portion de trafic détourné vers la Birmanie est pour elles une perte, elles ne peuvent qu’être hostiles à tous ces chemins de fer. À cet égard, le doute n’est pas possible, et l’on a remarqué que personne n’a élevé contre ces divers projets des critiques aussi vives et aussi soutenues que les feuilles anglo-chinoises dont elles disposent. Cette opposition de deux élémens aussi considérables est déjà pour ces projets une première et formidable cause d’insuccès : en voici une seconde.

Ils supposent que, la Chine consentant à la construction d’un chemin de fer, le premier qu’elle autoriserait serait précisément celui de Chunking, par le Yunnan et le Szu-Chuen, et qu’une fois ce chemin de fer construit, pendant longtemps elle ne souffrirait pas qu’il s’en construisît d’autres. C’est là une

  1. Lire sur le Feng-choui (le vent et l’eau qui peuvent s’irriter) les récits innombrables des voyageurs.
  2. Et ce ne sont pas là des propos en l’air. En 1889, fut concédé à une compagnie étrangère, la Hong-Kong and Shangai Bank, une ligne allant de Tien-Tsin à Trong-Tchéou ; le décret était signé de l’impératrice-mère, et les capitaux prêts. À ce moment, une opposition si formidable se manifesta qu’on ne crut pas pouvoir passer outre. Le gouvernement consulta alors les gouverneurs de province sur l’utilité du chemin de fer. Les plus influens répondirent qu’il était bon sans doute d’avoir des chemins de fer, mais qu’il fallait les construire avec les ressources du pays, sans le secours des étrangers. Dans ces conditions, les chemins de fer étaient impossibles. C’est ce que voulaient les mandarins, mais non pas le gouvernement central. À cette occasion, en effet, le vice-roi des deux Kouang, le fameux Tcheng, qui avait le plus nettement formulé cette opinion, fut déplacé, envoyé dans la province de Hupeh, et chargé d’exécuter, par ses moyens propres, la ligne de Hankow à Lu-ko-Tsiao, près de Pékin.