Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/924

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cambodgiens sont une race, les Annamites en sont une autre ; les habitans de la Cochinchine et ceux de l’Annam forment une famille ; il n’est pas sûr que les Tonkinois n’en forment pas une seconde. Il y a là-dessus des opinions contradictoires : M. Harmand a son opinion ; M. Aymonnier a la sienne ; M. Sylvestre a la sienne ; Mgr Puginier a la sienne ; le gouverneur-général, M. de Lanessan, a la sienne : il faut, au point de vue historique, ethnologique et politique, étudier les habitans de l’Annam et du Tonkin, et savoir enfin d’une façon indiscutable s’ils sont une seule et même nation, ou si leurs origines, leurs luttes, leurs institutions n’en font pas deux nations distinctes, peut-être même opposées.

2° Une fois tranchée cette controverse, il importe de donner des lois à ces peuples : j’entends des lois appropriées. Or, c’est ce que ne sont pas les lois en vigueur dans notre Indo-Chine. Leurs lois à eux ne leur suffisent plus, depuis qu’ils sont entrés en relations avec nous, et nos lois à nous les dépassent encore. Il leur faut des lois moins simplistes que leurs lois et moins compliquées que les nôtres. Ni le code annamite, — dont nous possédons le recueil et la traduction depuis la période féconde des amiraux gouverneurs de la Cochinchine, — ni le code Napoléon ne peuvent séparément donner satisfaction ou se plier à leurs besoins : ils veulent des lois faites pour eux, des lois qui s’inspirent largement des lois indigènes, et les complètent sur quelques points d’après les principes, non pas d’après les dispositions de nos lois d’Occident.

Toutefois, le moment n’est pas venu encore d’édifier cette législation. C’est là une tâche colossale, et qui demande infiniment de précautions et de talent. Dans l’Inde, on l’a confiée à des hommes tels que Macaulay et sir Henry Sumner Maine, qui ont consacré de longues années à en préparer seulement les matériaux. Je ne sais pas si nous avons de tels hommes à notre disposition ; je crois, en tout cas, que ces matériaux nous font encore défaut. Bornons-nous donc, pour le moment, à restituer aux Annamites une partie des lois que nous avons imprudemment altérées ; et, reprenant les traditions des La Grandière et des Luro, rassemblons pour l’avenir les matériaux d’une législation indigène digne d’un grand peuple.

3° Les lois ne sont pas tout ; ayons des fonctionnaires et des juges qui les sachent appliquer. Laissons, ou mieux rendons à la métropole trop généreuse les magistrats et les administrateurs de choix qu’elle envoie si volontiers à ses colonies. L’Indo-Chine, comme l’Inde, veut des fonctionnaires triés et préparés. Un moment, elle en a eu : reprenons la tradition. Instituons des concours dans le genre de ceux que j’ai décrits, — ce sera plus libéral, — ou gardons l’école coloniale, — ce sera moins compliqué. Mais perfectionnons-la. Faisons-en non plus une école coloniale, mais une