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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/94

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des quirites, de garder de toute atteinte la république du peuple romain des quirites, d’être propice et secourable au peuple romain des quirites, aux quindécimvirs, à nous, à nos maisons, à nos familles. Voilà ce que les cent dix mères de famille et épouses, choisies dans le peuple romain des quirites, nous te demandons à genoux. »

Ces formules courtes et monotones, où reviennent sans cesse des mots semblables, et qui rappellent assez les litanies de l’Église catholique, suffisaient à la dévotion des Romains. Comme elles étaient fort anciennes et que chacun se souvenait de les avoir entendu souvent répéter, on les redisait par habitude ou on les respectait par tradition. Personne ne paraît s’être préoccupé de trouver au sentiment religieux une forme plus libre et plus élevée. Il s’est pourtant présenté quelquefois des circonstances exceptionnelles, où l’on a cherché des moyens nouveaux de demander le secours des dieux ou de les remercier de leurs bienfaits. Pendant la seconde guerre punique, après la défaite d’Hasdrubal, le sénat, qui ne savait que faire pour témoigner aux dieux sa reconnaissance, eut l’idée de demander à un poète une prière nouvelle. Comme les esprits devenaient moins rudes et commençaient à trouver quelque agrément à la poésie, on supposa que ce qui plaisait aux hommes pouvait aussi charmer les dieux. Le vieux poète Livius Andronicus, qui, trente-trois ans auparavant, avait fait jouer pour la première fois une pièce imitée du grec, fut chargé d’écrire une hymne en l’honneur de Junon reine, et de l’apprendre à vingt-sept jeunes filles choisies. Le jour de la fête venu, elles parcoururent les rues de Rome accompagnées par les prêtres couronnés de laurier et vêtus de la prétexte ; arrivées sur le forum, elles s’arrêtèrent ; alors entrelaçant leurs mains et frappant de leurs pieds le sol en cadence, elles chantèrent l’hymne de Livius.

Cet essai ne fut pas souvent renouvelé, et l’on s’en tint d’ordinaire aux prières du rituel ; mais il est naturel qu’elles n’aient pas suffi à Auguste, qui souhaitait donner à ses jeux un éclat particulier. À ces vieilles formules qu’il répétait pieusement pendant qu’il sacrifiait les bœufs ou la vache, on comprend qu’il ait voulu joindre un chant qui restât dans la mémoire de la postérité. Il avait précisément sous la main celui qui était le plus capable de faire ce qu’il désirait. Horace venait d’initier Rome à la poésie lyrique des Grecs, la seule qui n’y eût pas été encore acclimatée ; aussi son succès avait-il été très grand. On l’avait proclamé « le maître de la lyre romaine, » et lui-même, quoiqu’il fût modeste de sa nature, s’était sans fausse honte décerné l’immortalité.