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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/940

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On la sent toujours présente. On la sent déjà ranimée, depuis qu’elle est resserrée et comprimée.

Dans ce court moment de la durée que nous appelons notre temps, Rome subit une transformation de plus. La chaîne prépare un maillon. Le dirai-je ? Ces douloureuses bâtisses, qui bouchent les horizons et affligent l’œil de l’artiste, ne me troublent pas autrement. Le Forum actuel est plus choquant, parce que c’est une chose romaine distraite de Rome, parce que cet arrêt de vie artificiel est contraire aux lois de la végétation locale. Les quartiers neufs, c’est un bouillon de vie mal réglé et qui n’a pas encore trouvé sa forme. Ce qui en est irrémissiblement laid et inutile disparaîtra vite. Ce qui répond à des besoins s’agrégera, fera sa beauté, trouvera sa place dans l’ensemble, après l’élimination inévitable. En d’autres temps, tous les architectes à Rome n’étaient pas des Michel-Ange, et Rome finit toujours par être tout entière ordonnée de la main d’un Michel-Ange. Nos neveux rêveront sans doute sur les cités ouvrières du Latran comme nous faisons sur les bouges du Transtevère.

De même pour le nouvel ordre de choses, dont ces bâtisses sont la figure sensible. Devant la réalité des faits, il n’y a pas deux impressions ; celle des étrangers de toute opinion, des moins suspects, peut se traduire ainsi : le nouvel ordre de choses restera un accident, un feuillet dépareillé dans un volume d’histoire, tant qu’il n’aura pas pris sa place dans la chaîne. Les deux bouts de la chaîne sont au Vatican ; on la sent si forte, malgré tout, si bien vérifiée par le passé, que ce qui est en dehors d’elle ne paraît pas être dans Rome. La gêne est intense, les conditions de vie sont anormales des deux parts, à la prison, au campement. Cependant, nul esprit réfléchi n’admet un seul instant la restauration du pouvoir temporel, tel que nous l’avons connu ; nul ne conteste la légitimité et la durée de l’unité italienne, achevée dans Rome, profondément respectable, comme tout ce qu’un peuple a accompli avec son âme, à coups de sacrifices. Personne ne prévoit la solution. Le maillon n’est pas fait. On n’en peut affirmer qu’une chose, c’est qu’il rentrera tôt ou tard dans la chaîne. L’histoire, c’est-à-dire le merveilleux forgeron dont je constate à chaque pas le travail, en inventera la composition et la forme, comme elle y a toujours réussi. Le lendemain, chacun s’écriera : c’était si simple, et personne n’y avait pensé !

Mais une ville ne dit pas les secrets du présent, des parties qui se font. Elle n’est claire et infaillible que pour la lecture du passé. La surcharge des caractères rend illisible pour le contemporain ce texte qui sera si limpide pour nos successeurs. Néanmoins, dans cette