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de simples protestations contre des sermons qui touchaient à la politique ou au socialisme. Le fait est que ces manifestations étaient annoncées et se préparaient depuis longtemps. Elles ne sont qu’un épisode d’une campagne qui a commencé le jour où l’on a vu se dessiner un apaisement religieux qu’on redoutait. Elles se sont senties encouragées et elles ont redoublé le jour où on a dit du haut de la tribune que, si les désordres se renouvelaient, les églises seraient fermées. Le moyen était trouvé, la tactique avait du moins à demi réussi. Les églises n’ont pas été fermées ; mais les prédications ont été prudemment interrompues par les chefs du clergé, pour n’être pas tout simplement suspendues par un ordre de la police. De sorte que, pour quelques perturbateurs qui n’avaient que faire autour de la chaire, les fidèles réunis dans leurs églises ont été troublés dans leur culte. Voilà toute la question !

Encore une fois, même après des scènes qui sont la plus violente atteinte à la liberté des consciences, à la sécurité du culte religieux, et qui ne s’étaient pas passées depuis longtemps, on peut réserver son opinion sur un système de prédication qui paraît trop tenter le clergé contemporain. Sans doute, de nos jours, tout a étrangement changé dans les idées comme dans les mœurs, dans le rôle du prêtre, dans les conditions de publicité et de discussion. L’esprit moderne pénètre partout, jusque dans l’église, et des membres du clergé, surtout les jeunes, peuvent penser qu’il ne leur est point interdit d’exposer à leur tour dans leur prédication des problèmes qui intéressent les hommes, l’avenir moral des sociétés. Ils cèdent à une tentation, à l’attrait des grandes controverses, des conquêtes de la parole. Quoi qu’on en dise, ce n’est pas moins une aventure, et c’est toujours un péril pour des prêtres, de se jeter dans ces bruyantes mêlées, dans ces polémiques tumultueuses, d’attirer les auditeurs par des convocations, par une sorte de représentation, d’aborder des questions autour desquelles ne cessent de s’agiter les plus ardentes et les plus âpres passions. Qu’ont-ils à faire de pulvériser dans leurs chaires les systèmes et les philosophies, de dialoguer sur le socialisme et l’évolutionisme, d’ouvrir des cours d’économie politique sur la mutualité ou même d’emprunter aux plus violens polémistes des déclamations sur les « déshérités ? » ce n’est point leur rôle, ils sont toujours plus ou moins dépaysés dans ce domaine troublé des abstractions ou des passions. L’évangile reste pour eux un assez beau texte qui n’est pas épuisé, qui peut suffire aux plus éloquens sermons, à la plus persuasive et à la plus efficace des propagandes. Ils y trouveront tout ce qui a fait la vieille et saine prédication chrétienne. À chercher la force et le succès ailleurs, ils s’abusent. Dans tous les cas, s’ils cèdent un peu trop au goût de la nouveauté, ou même, s’il y a parfois de leur part quelque imprudence de langage, c’est une erreur et ce n’est qu’une erreur ; ce n’est pas un