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délit, tandis qu’à côté il y a des délits précis, caractérisés, d’autant plus blessans et révoltans, qu’ils sont commis par bravade de secte contre des croyances, contre des fidèles inoffensifs, contre la dignité d’un lieu consacré.

Eh bien ! qu’en dit le gouvernement et que pense-t-il faire ? Comment entend-il régler ou apaiser ces conflits où les passions religieuses se raniment ? franchement, il faut bien l’avouer, M. le président du conseil n’est pas jusqu’ici un brillant premier ministre. Il a l’attitude embarrassée de tous ces pouvoirs que nous avons vus passer, qui ne savent trop que faire et cherchent à tout ménager, qui, sans avoir le goût des violences, finissent par les subir et par en être les complices. M. le président du conseil se démène, tenant à la main deux ou trois articles du code pénal, l’un punissant les excès de langage des prêtres, l’autre punissant ceux qui troublent le culte ; il brandit ces terribles articles, regardant surtout avec menace du côté des prêtres, morigénant doucement les fauteurs de désordres. Qu’en est-il de plus ? Personne n’est poursuivi. Le gouvernement se laisse encourager plus que jamais à l’énergie contre le cléricalisme, — et le ministère est sauvé au moins jusqu’à la première occasion !

Ce qu’il y a de plus curieux encore que l’attitude de M. le président du conseil, c’est l’intervention toute récente de M. le garde des sceaux dans ces discussions qui se succèdent. Ici le débat devient vraiment une comédie assez mal déguisée. Il s’agit toujours des troubles dans les églises : c’est l’objet de l’interpellation. Qu’est-ce à dire ? M. le garde des sceaux, qui a peut-être plus que M. le président du conseil la faveur des radicaux, M. le garde des sceaux survient ; d’un geste dramatique il tire de son portefeuille un mandement de M. l’évêque de Mende, qui n’a rien de commun avec les troubles des églises, mais qu’il se plaît à représenter comme un signe nouveau des « menées cléricales. » Là-dessus, M. le garde des sceaux part en guerre, déployant son éloquence et sa fermeté. Il annonce fièrement qu’il vient de supprimer le traitement de M. l’évêque de Mende, que le prélat va être déféré au conseil d’État. Il lit un peu pompeusement quelques phrases de la bulle de Pie VII sur le concordat et le serment des évêques. Il n’en faut pas plus pour que M. le garde des sceaux ait son triomphe auprès des radicaux, son ordre du jour avec l’affichage de son discours dans toutes les communes de France. C’est le manifeste de l’anticléricalisme sanctionné par la chambre, subi par M. le président du conseil. Et voilà comment les envahisseurs des églises sont bien punis de leurs méfaits ! — Il faudrait cependant en finir avec ces confusions, et savoir ce qu’on veut, où l’on va. Si on veut encore malgré tout, en dépit de toutes les passions conjurées, sauvegarder la paix religieuse visiblement désirée par la masse de la nation, c’est certainement un autre langage qu’on doit tenir, c’est une autre politique qu’on doit suivre. Si on ne craint pas