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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/959

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De ces derniers débats, où tout a été dit et redit cependant, il s’est dégagé deux idées, deux projets, qui ne seront peut-être pas sans soulever des difficultés, mais qui ont une portée, une valeur pratiques. Un de ces projets, qui n’a, il est vrai, rien de nouveau, qui est étudié depuis quelque temps, est celui de la création d’une armée coloniale dont le gouvernement de la métropole pourrait toujours disposer pour faire face aux incidens lointains et à l’imprévu. Oui, sans doute, cette armée coloniale est une nécessité ; elle peut devenir un instrument précieux pour ces expéditions lointaines qu’on ne redoute plus assez, qui peuvent assurément quelquefois servir la grandeur française. Elle ne sera pourtant pas si facile à coordonner avec le nouveau système militaire. De quels élémens sera-t-elle composée dans ses corps et dans ses cadres ? quelle sera sa place dans l’organisation de nos forces ? comment se combineront ces deux armées, l’une attachée au territoire, à la défense nationale, aux opérations de guerre sur le continent, l’autre employée à des services lointains, presque toujours en campagne, portant sur tous les rivages, au prix de son sang, le drapeau de la France ? Dans quelle mesure se répartiront les récompenses entre deux armées si différentes, et sous quel commandement supérieur marcheront-elles ? Autant de questions, qui ne laissent pas d’être délicates dès qu’on y touche de près. L’œuvre est sans doute, désormais, une nécessité : elle ne sera peut-être pas aussi aisée à réaliser qu’on le croit.

Reste un autre projet qui est aussi sérieux, qui est peut-être d’une exécution moins difficile, si on le veut, et qui pourrait simplifier le grand problème de notre extension lointaine ; c’est la création de compagnies libres et indépendantes de colonisation, comme les grandes compagnies anglaises, comme la Royal Niger company. Il est certain que ces compagnies, fortement constituées, dotées de larges privilèges, de vastes concessions, d’une indépendance suffisante, pourraient être les plus puissans auxiliaires de l’État, ainsi dégagé d’une lourde responsabilité ; que seules, avec le temps, par une action libre, elles pourraient arriver à étendre et à consolider nos conquêtes, même à avoir leur armée et leur flotte commerciale. Ce n’est pas impossible. Des projets sont déjà soumis aux chambres : ils sont indépendans des crédits qui viennent d’être définitivement votés pour suffire aux incidens du moment, au Dahomey comme au Soudan ; mais ce qu’il faut évidemment avant tout, c’est avoir une politique, des idées claires et précises, de l’esprit de suite dans les desseins, et les grands desseins extérieurs ne vont pas sans la paix morale, sans la libérale prévoyance dans les affaires intérieures. C’est la première condition. Sans cela, qu’il s’agisse de politique coloniale ou de politique intérieure, on ne fait rien. On dispute sur de petits crédits qu’on n’ose demander qu’à