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constitutionnelle ; il la personnifiait, en quelque sorte, aux yeux de l’Europe. « La Belgique, écrivait l’année dernière un jurisconsulte belge du plus grand mérite[1], a eu l’heureuse chance de vivre sous deux princes respectueux de l’esprit constitutionnel. » Les publicistes de tous les partis s’étaient plu, jusqu’à présent, à reconnaître que « la royauté belge est toujours restée comme un pouvoir neutre, planant au-dessus des luttes politiques, laissant exercer par les ministres, sous le contrôle de la majorité parlementaire, la souveraineté réelle, cherchant parfois à modérer et à rectifier leur action. » La force même des choses astreindrait Léopold II à ne pas dévier de cette ligne, quand ses propres instincts, les traditions de toute sa famille, et l’exemple paternel n’y suffiraient pas. On ne devient pas d’ailleurs un César sans vouloir être César, et c’est à coup sûr la plus extraordinaire des fantaisies que de prêter à ce roi sage et probe les visées ou les appétits d’un général Boulanger.

Mais le projet du gouvernement contient du moins (nous n’en disconvenons pas) une extension de la prérogative royale, et cette extension paraît à plusieurs hommes d’Etat contraire à l’esprit général de la constitution belge. Le roi conserve, dit-on, le droit de dissolution : s’il juge que les élus ne traduisent plus la pensée des électeurs, s’il veut tâter le pouls au pays, il lui suffit de pouvoir dissoudre les chambres ; aller au-delà, c’est tomber dans le césarisme. L’argumentation n’est pas sans réplique.

Il n’y a pas d’analogie entre le referendum postérieur au vote des lois et la dissolution des chambres. La royauté ne se propose pas le même but dans l’un et dans l’autre cas ; les deux mesures n’ont pas la même portée. Y a-t-il un désaccord permanent entre la chambre des représentans, par exemple, et le cabinet sur la marche générale des affaires publiques, et le roi croit-il qu’elle a cessé d’être l’écho du pays ? on aboutit à la dissolution. Le désaccord n’est-il, au contraire, que passager ? porte-t-il sur un point précis ? croit-on savoir d’ailleurs que le pays ne se soucie pas de faire passer le pouvoir des mains d’un parti dans celles d’un autre, et peut-on légitimement espérer que les adversaires de l’heure présente se réconcilieront demain ? Peut-être y a-t-il un double avantage à prendre le peuple pour arbitre du différend et à laisser siéger une chambre honnête, intelligente, laborieuse jusqu’à l’expiration de son mandat. La fréquence des dissolutions est un grand mal. Outre qu’il n’est pas bon de faire discuter sans cesse l’élu

  1. M. L. Dupriez, avocat à la cour de Bruxelles, au tome Ier de son ouvrage sur les Ministres dans les principaux pays d’Europe et d’Amérique.