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même s’il la croyait funeste, même s’il la jugeait inconstitutionnelle. À ce point de vue, ses pouvoirs sont bien moins étendus que ceux du président des États-Unis et même de presque tous les gouverneurs des États particuliers dans l’Union américaine, auxquels la constitution fédérale et les constitutions locales accordent le veto suspensif[1]. Non-seulement ceux-ci sont investis du droit par des textes formels, mais ils en usent, et la nation, à laquelle leurs fonctions temporaires ne portent pas ombrage, trouve bon qu’il en soit ainsi. Comme le rappelait naguère notre regretté collaborateur Émile de Laveleye, depuis l’origine de la Fédération jusqu’à Cleveland, le président de la république a cent trente-deux fois exercé le droit de veto, et le seul Cleveland, de 1885 à 1889, a refusé de sanctionner trois cent un bills. Il y avait peut-être là quelque velléité de césarisme ; mais heureusement pour ces chefs d’État, on connaît mal, au Nouveau-Monde, l’histoire des Césars.

Or est-ce saper l’ancienne constitution belge que d’assurer l’exécution d’une de ses dispositions les plus importantes ? Si les constituans de 1892 trouvaient le moyen de rendre, en fait, à la royauté l’exercice du droit de veto qu’avaient entendu lui conférer les constituans de 1831, démériteraient-ils de leurs ancêtres ? Nous avons peine à le croire. Précisons : le roi qui peut, en droit strict, ‘empêcher la promulgation d’une mauvaise loi, ne peut plus, en fait, sans troubler les rapports établis depuis soixante années entre la couronne et le parlement, opposer la seule prérogative royale au vote des deux chambres : il pourrait désormais, après avoir consulté le pays, recouvrer l’exercice de cette prérogative. On étend, par un certain côté, ses pouvoirs en lui permettant de s’adresser directement au peuple, mais on les limite, d’autre part, en l’amenant à partager avec le corps électoral son droit de veto. Quand la sanction d’une loi ne rencontrera pas d’obstacle, la couronne enregistrera les actes de la représentation nationale : au cas contraire, la nation donnera son avis. Quelques hommes d’État pensent que la constitution serait bouleversée ; nous soutenons qu’elle cesserait d’être éludée.

Mais quoi ! le gouvernement belge se met donc à la remorque de l’esprit démocratique ! Il en accélère la marche et rompt les digues ! Il livre à la démocratie pure une société qu’il devrait défendre contre ses revendications toujours croissantes ! Serrons de près cette autre objection.

D’abord il convient de remarquer que nous ne sommes plus

  1. Les constitutions de l’Ohio, de la Caroline du Sud et de la Géorgie n’accordent point ce droit au gouverneur.