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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/164

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racine dans les classes inférieures, le parler rude, mais sans clics, des pêcheurs de Scheveningen et des pilotes lamaneurs du Texel. Après tantôt quatre-vingt-dix ans d’occupation britannique, une ménagère anglaise, à Cape-Town, doit baragouiner le hollandais pour se faire comprendre par sa domesticité. Les 10,000 Malais de la capitale, entre eux, parlent hollandais. Passé une ligne idéale qui se pourrait tirer de Port-Elizabeth à Queen’s-Town et Aliwal-North, ce n’est plus la même chose ; de moins en moins, à mesure qu’on avance vers l’est, résonne aux oreilles la langue du ya. Mais, au nord de l’Orange, dans les républiques, elle est officielle et vernaculaire ; dans le Namaqualand allemand des tribus entières de Bastaards, métis de Hottentotes et de Bataves ou purs Hottentots, la tiennent pour la leur : le chef Hendrik. Witbooi, — « Henri le gars blanc, » — signe fièrement ses lettres au magistrat de la baie Valfich : koning, roi. Comme, d’ailleurs, les boers sont les rouliers du désert, ils ont porté leurs accens jusque sur les bords du Zambèze. Un missionnaire revenu des stations françaises de Séfoula et de Séchéké nous disait que dans ce lointain pays, à 3,500 kilomètres du Cap, le hollandais passe aux yeux des Barotsis pour le grand langage des hommes blancs.

Parlé par les gens de couleur, c’est naturellement un patois que les habitans de La Haye ont quelque peine à comprendre et où se mêlent des mots d’origines diverses. Tel qu’on l’entend chez les boers, de la montagne de la Table aux rives du Limpopo, c’est un dialecte ne différant guère plus du hollandais littéraire que celui-ci du haut-allemand ou le frison du néerlandais classique. La prononciation peut dérouter l’oreille et l’orthographe les yeux ; mais un Allemand ou un étranger sachant bien l’allemand, avec quelque habitude des comparaisons philologiques, arrive très vite à lire de l’afrikaans, sinon à s’exprimer en cet idiome. Certaines modifications furent apportées dans la grammaire, presque toujours avec avantage : en se simplifiant, la langue a plus gagné que perdu au point de vue de la clarté et de la logique. Ainsi les déclinaisons irrégulières sont devenues régulières, le pluriel se forme plus naturellement ; tantôt le singulier a été mis en harmonie avec le pluriel ; tantôt, c’est le pluriel qu’on a rapporté au singulier[1]. On a supprimé le subjonctif. Autre changement, il n’y a plus qu’un article pour le masculin comme pour le féminin, et

  1. Exemples : en hollandais, et (œuf) fait, au pluriel, eieren, et (vache) kœien. En afrikaans, on dit, au singulier, eier, kœi, et, au pluriel, eiers, kœie, ce qui est plus régulier. En hollandais, smit (forgeron) fait smeden, — lit (personne, individu), — fait leden (gens). En afrikaans, on a des formations plus simples : smit, smits ; lit, litte, et ainsi de suite.