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— petit homme à couleurs changeantes, — est un heureux synonyme de kameleon.

Cette langue n’est donc pas plus mal bâtie qu’une autre ; mais on trouve au sud-Afrique une école de patriotes dont le rêve serait d’en faire l’idiome afrikander par excellence. Ils la cultivent avec amour, ce qui est naturel ; ils la glorifient avec une complaisance tant soit peu excessive et traitent de langue étrangère celle des Hollandais d’Europe, ce qui peut servir seulement à l’écarter de l’enseignement public en consolidant la suprématie de l’anglais. Le mouvement afrikandériste commença par ce félibrige, et le pasteur du Toit fonda dès 1875, à Paarl, une feuille patoise, Die Afrikaame Patriot. Puis ce furent, toujours en patois, une traduction de la Bible, des ouvrages de piété, des poésies, une petite histoire des huguenots, une relation de la guerre du Transvaal, une brochure sur l’hydrothérapie. M. du Toit publia, en 1890, soixante et onze propositions, — excusez du peu, — pour établir que son bien-aimé dialecte est le plus parfait des dialectes connus et qu’on doit le ranger sur l’échelle des langages humains à la hauteur du sanscrit, mais un peu au-dessus. On y rencontre cette assertion que le hollandais pur est incompréhensible pour un afrikander, et l’on se demande alors pourquoi l’afrikaans ne serait pas inintelligible pour un simple Français. M. du Toit prend les cinq premiers versets de la Bible, chez différens peuples : il y compte en anglais 352 lettres, en hollandais 345, en hébreu 315, en allemand 299, en afrikaans 284. D’après ceci, la langue de Milton est la dernière de toutes comme simplicité, et le hollandais l’avant-dernière. Mais la première, c’est l’afrikaans. Au point de vue de l’euphonie, notre auteur relève dans ces mêmes versets une prédominance des consonnes sur les voyelles se traduisant par les chiffres que voici : anglais, 104 ; allemand, 95 ; hollandais, 75 ; hébreu, 75 ; afrikaans, 38. Conclusion : l’afrikaans est un idiome très sonore ; il ne le cède qu’à l’italien, et encore. Pour ces motifs et d’autres peut-être plus sérieux, M. du Toit et ses amis repoussent le hollandais classique, non sans l’employer aussi à la quatrième page de leurs journaux, dans les colonnes d’annonces. On leur répond sans peine : tout admirable qu’il soit, votre afrikaans ne mené à rien ; il ne se prête pas à une éducation achevée ; tandis que le hollandais de la littérature mène en Europe à six universités, à des écoles de médecine, à deux instituts militaires, à une école navale, à une pépinière d’ingénieurs, à une école d’agriculture. Du jour où chaque patois se barricaderait chez lui, il faudrait à l’humanité cent fois plus d’hommes de valeur ou de génie, car l’existence de langues maîtresses, dominant des