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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/172

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vaut un siècle d’histoire. Lorsque la population étrangère, anglaise de Johannesburg, lacéra le drapeau transvaalien en 1890, quelques arrestations terminèrent l’incident. Dix ans plus tôt, le sang aurait coulé ; nous aurions peut-être vu en selle quelques milliers de boers résolus à venger cet outrage. Mais on y regarde à deux fois avant de tuer une poule aux œufs d’or. Les anciens combattans de Bronker’s Spruit, de Lang’s Nek, de Skuinshoogte, de Madjouba, ont vu chez eux, depuis quelques années, trop d’explorateurs optimistes et de spéculateurs adroits aux poches bien garnies de l’argent dos autres ; ils ont eu trop d’occasions d’admirer le bel art de créer des syndicats et de lancer des compagnies minières rien qu’avec de petits quartiers de roche détachés au marteau, soigneusement triés pour donner l’idée la plus haute d’un filon ; ils ont trop gagné à ce jeu, trop de fois vendu un million ce qu’ils n’avaient pas payé 10,000 francs, pour n’être point revenus de quelques-unes de leurs préventions contre les gens parlant anglais. Avec de bonnes livres sterling ils ont pu doubler l’indemnité de session des membres du Volksraad, augmenter les appointemens de tous les fonctionnaires publics et porter à 200,000 francs le traitement du chef de l’État. Les hommes les plus marquans de la guerre d’Indépendance se sont jetés dans les opérations financières et ont entretenu avec Londres les rapports les plus amicaux. Ne pouvant et ne voulant plus verrouiller leurs portes, les boers du Transvaal ont même accordé aux étrangers une représentation politique, une chambre à côté du Volksraad, purement consultative d’ailleurs. Avec les mines d’or et le régime du boom, avec les télégraphes et les chemins de fer, l’Afrique australe ne ressemble plus à ce qu’elle fut voici trois lustres. Cavour voyait dans l’établissement d’un réseau de voies ferrées le meilleur moyen de constituer une nationalité italienne. La locomotive créera aussi une nationalité sud-africaine. Les esprits s’uniront comme les intérêts. A Pretoria même, l’idée nouvelle fait son chemin. On y trouve déjà une Société des « Jeunes-Sud-Afrique, » peu différente d’une ramification de l’Afrikanderbond. Ses adhérens sont pour la plupart des hommes appartenant à la classe éclairée, aux professions libérales, à l’élément citadin. Pour qui note ces indices, l’avenir de l’idée d’union, de fédération, ne souffre aucun doute. Compris comme tendance progressiste en face du conservatisme rigide, de l’oligarchie fermée des « vieux-boers, » l’afrikandérisme gagne et gagnera du terrain avec l’instruction. Doctrine de Monroe, il rencontre des difficultés dont il triomphera peut-être. Bref, pour employer une locution cafre, on peut dire du patriotisme sud-africain : « Mûr en dedans, comme le melon d’eau. » On juge mal du