Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

préjugés de race, en faire le solide lien d’une confédération à venir.

Ce n’est pas extrêmement facile. L’Afrique australe reçoit très peu d’émigrans européens, et les gouvernemens locaux ne se soucient même pas de favoriser l’immigration : depuis trente-cinq ans on a renoncé à faire venir des colons d’Europe, sauf dans l’intérêt de quelques métiers ou industries manufacturières. Il s’ensuit que les deux races dominantes ont gardé leurs positions respectives presque sans changement. Les Hollandais ont toujours l’avantage du nombre, les Anglais celui de l’éducation, du savoir-faire, de l’entrain, des ressources multiples qu’ils trouvent dans leurs relations avec une riche et puissante contrée. De ces deux élémens, aucun ne semble en passe d’absorber l’autre, et l’histoire a semé là des germes de rancune et de défiance constamment prêts à lever. Les États-Unis de l’Amérique du Nord avaient trouvé la concorde dans leur berceau ; aucune des treize colonies insurgées à la fois n’avait pu servir de base d’opération à une métropole jalouse, comme ce fut ici le sort du Cap, pour étouffer la liberté des autres. La discorde ne vint qu’un siècle après. Dans le sud-africain, tout commence par la sécession, par l’exode des boers refusant d’habiter une colonie anglaise, et voilà sur quelle base il faut asseoir l’entente. Puis, il n’y a pas encore si longtemps que l’Angleterre, mal inspirée, annexait le Transvaal à son empire. Cet acte ranima des passions presque éteintes. Au Cap même, un cri d’indignation s’éleva dans le camp hollandais. On se cotisa pour envoyer des subsides aux insurgés, — environ cent mille francs ; on fit de la charpie, on tint de bruyantes réunions publiques, et le parti anglais s’agitait en sens contraire. L’excitation fut telle, que M. Gladstone, averti, s’empressa de signer la paix, en reconnaissant l’erreur commise par la Grande-Bretagne ; or il y avait en Natalie douze mille soldats n’attendant plus qu’un ordre pour marcher et venger la défaite du général Colley à Madjouba. Dans cette guerre, les femmes transvaaliennes poussaient les hommes au combat. Quand les épouses, les mères sont belliqueuses, les fils gardent un pli qui ne s’efface plus, et, avec de pareilles réminiscences, si voisines, c’était chose malaisée, on doit le reconnaître, de cultiver un patriotisme anglo-hollandais. Cela dit, l’obstacle ne paraît nullement insurmontable. Une âme nationale finira sans doute par sortir de l’œuf pondu par la violence ; seulement il y faudra un peu d’incubation artificielle, comme dans les autrucheries. Ce qu’on peut appeler l’âge héroïque des boers est un âge passé, et la période aiguë du chauvinisme britannique semble également close dans les colonies autonomes. La découverte des mines d’or