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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/183

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de routine dont les corps enseignans ont tant de peine à se garder, maintinrent jusqu’à ces dernières années un mode d’enseignement qui, nous l’avons dit, a été condamné dans l’institution de Paris en 1880. Cette année-là même, le célèbre congrès de Milan répudiait le langage des signes avec ce cri : « Vive la parole ! » et aujourd’hui il est abandonné sur presque tous les points de la terre.

Sans doute, l’abbé de l’Épée avait fait beaucoup de bien ; car ces malheureux enfans, complètement séparés du reste du monde, n’étaient plus du moins isolés de leurs compagnons d’infortune. Ils apprenaient, par des signes convenus, à converser entre eux ; ils apprenaient à lire, à écrire, et ils pouvaient ainsi recevoir des notions de grammaire, d’histoire, de géographie ; ils pouvaient aussi, ce qui était l’objet principal de l’abbé de l’Épée, s’élever aux notions morales, concevoir l’idée de Dieu et ouvrir leur âme aux sentimens et aux croyances de la religion. Mais, une fois sortis de l’école, dans quel isolement ils se trouvaient de nouveau plongés ! Le langage des signes est un mystère pour tous, sauf pour les initiés ; comment se faire comprendre ? comment briser cette barrière qu’ils trouvaient partout devant eux quand ils entraient dans le monde ? Un autre apôtre des sourds-muets, dont l’Italie pleure la perte récente, l’abbé Jules Tarra, directeur de l’École des sourds-muets de Milan, ardent propagateur de la méthode orale, décrit, dans un touchant et instructif petit livre[1], les difficultés de toute sorte auxquelles ils se heurtaient, leurs angoisses, leur douleur, leur découragement ; comment ils abandonnaient même leur langage artificiel, comment ils retombaient souvent dans cet état d’animalité dont l’école avait espéré les affranchir.

Il faut entendre encore, sur ce point, les éloquentes adjurations d’un autre prêtre italien, l’abbé Balestra, dont la trop courte existence a été aussi un apostolat, a pour qui, suivant une belle expression d’un ami des sourds-muets, M. Théophile Denis, la patrie semblait être partout où il y avait des sourds-muets à aimer et à protéger contre l’ignorance. » Tous les pays de l’Europe, la France, l’Espagne, l’Italie, l’Angleterre, la Belgique, la Hollande, l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche, l’ont vu parler, écrire, combattre pour l’enseignement oral ; il a soutenu la même cause au bout de

  1. Esquisse historique et court exposé de la méthode suivie pour l’instruction des sourds-muets de la paroisse et du diocèse de Milan, par M. l’abbé Jules Tarra, directeur et professeur à l’école des pauvres, traduit de l’italien en français par MM. Dubranle et Dupont, professeurs à l’institution nationale des sourds-muets de Paris. — Paris, Delagrave, 1883. M. Dubranle est aujourd’hui censeur des études de l’institution.