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l’Amérique, à Buenos-Ayres, où il est mort à cinquante-six ans, le 26 octobre 1886. En 1879, il écrivait au ministre de l’intérieur : « Il appartient à la France, et surtout à l’institution nationale de Paris, de compléter une réforme qui sera bientôt, je l’espère, universelle. Je puis même affirmer que la France obtiendra, si elle le veut, des succès plus éclatans qu’aucune autre nation. La langue française, claire, précise, aura un grand avantage sur les langues du nord, et sera même supérieure à la langue italienne dans l’enseignement de la parole. La pause naturelle de la voix du sourd-muet est essentiellement française ; il appuie instinctivement sur la dernière syllabe[1]. » Combien il se serait réjoui s’il avait pu voir, deux ans plus tard, l’enseignement oral exclusivement adopté à Paris, s’il avait pu constater, comme nous l’avons fait, les résultats de cette méthode même sur des enfans qui débutent, en suivre les heureux effets sur des élèves qui y sont soumis depuis quatre, cinq, six et sept années, reconnaître enfin, en conversant avec ceux qui vont partir, que l’articulation, quoi qu’en disent encore quelques personnes, n’est pas un trompe-l’œil et un leurre, que ces sourds-muets lisent réellement la parole sur les lèvres, qu’ils la comprennent sans l’entendre, qu’ils y répondent avec sûreté et qu’ils ont dans leur esprit et sur leur langue un assez riche répertoire de mots et de phrases pour suffire à toutes les relations nécessaires de la vie sociale !

Ainsi le sourd-muet, selon l’expression de l’abbé Tarra, « a été tiré de son silence. » Sans doute, il ne faut pas s’attendre à ce que son langage soit coulant, facile, agréable ; les sons qu’il fait sortir de son gosier ont quelque chose de rauque qui blesse notre oreille. Un des plus habiles professeurs de la maison, M. Dupont, l’a dit dans un beau discours de distribution de prix[2] : « Ils resteront, de par la dure loi de leur naissance, des invalides de la parole… Leur langage sera plus ou moins correct, suivant leur intelligence, dont les organes ont pu être lésés en même temps que l’appareil auditif, suivant leurs aptitudes et suivant leur degré d’instruction. Pour les comprendre, il faudra parfois de la complaisance ; il faudra les deviner un peu, et pour cela le mieux sera de les écouter avec son cœur. » — « Mais, ajoute-t-il, notre mission sera remplie du jour où nous leur aurons donné à tous, même aux plus sourds, un langage intelligible qui leur permette d’entrer en relations avec la

  1. Voir dans la Revue française de l’éducation des sourds-muets (3e année), une suite d’articles touchans sur l’abbé Balestra. Sous le nom de Causerie, c’est une véritable biographie qu’a tracée M. Théophile Denis. Il nous fait connaître et chérir cet homme passionné pour le bien.
  2. 8 août 1887.