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l’institution suffisamment armés contre ceux qui voudraient exploiter leur infirmité.

Nous avons parcouru la partie purement intellectuelle des études des sourds-muets. Nous ne pouvons cependant omettre un point très grave de cette rédemption merveilleuse, je veux dire l’enseignement religieux. Rien, ce semble, de plus difficile que cet enseignement, puisqu’il s’agit d’introduire des idées immatérielles dans l’intelligence des enfans, et l’on a fait longtemps cette objection à la méthode orale. Par les signes, disait-on, par les dessins on pouvait amener le sourd-muet à concevoir un être suprême, qui a créé et qui conserve tout ce qui existe ; comment y réussir par la parole ? L’abbé Tarra répond avec raison que le signe mimique, que le dessin s’adressent aux sens, qu’ils matérialisent les idées, qu’ainsi, loin de dégager l’esprit et de l’élever dans les régions du pur spiritualisme, elles le conduisent, forcément à une conception grossière de la divinité ; elles ont pour résultat final l’anthropomorphisme.

Il est d’accord avec Valade-Gabel pour recommander une autre méthode. Il veut qu’après avoir appris au sourd-muet à prononcer le nom de Dieu, on éveille chez lui l’idée première de l’existence de Dieu, de sa toute-puissance, de ses rapports avec l’homme. A la vue de la nature, d’une fleur, du ciel serein ou étoile, et lorsque l’élève est sage, attentif, obéissant, il lui dit, par exemple : « Dieu bon, Dieu content, Dieu bénit. » — Tonne-t-il, fait-il des éclairs, l’orage est-il déchaîné, ou bien l’élève a-t-il commis quelque faute, a-t-il été distrait, menteur, obstiné, il lui répète : « Dieu fort, Dieu grand, Dieu voit, Dieu punit. » Par ces paroles on réveille dans l’esprit de l’enfant le sens latent de la Divinité qui est au fond de la conscience ; on fait briller cette lumière « qui illumine tout homme venant au monde. » A mesure qu’il se développe, on saisit toutes les occasions de l’initier aux principaux attributs de Dieu. C’est, en général, de la troisième à la quatrième année d’enseignement, quand il est devenu capable de se rendre compte des choses et des ouvriers qui les ont faites, que les idées religieuses font le plus de progrès dans son esprit et dans son cœur. On suscite sa curiosité ; on l’amène à se poser ces questions : qui a fait les plantes, les animaux ? qui a fait le ciel et la terre ? qui a fait le premier homme ? Alors le maître-dévoile le grand mystère, raconte à ses élèves l’histoire de la création ; il en déduit les dogmes de l’éternité de Dieu, de sa toute-puissance, de sa providence, de sa bonté, c’est-à-dire les premières notions fondamentales de la religion.

Les lecteurs curieux de ces graves questions trouveront dans le livre de l’abbé Tarra la marche par laquelle de la religion naturelle on conduit le jeune homme jusqu’à la connaissance des dogmes