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lui, sa maison et ses élèves, et charge le Grand-Maître de l’Université, M. de Fontanes, de négocier l’affaire ; on paiera à M. de Lanneau l’indemnité convenable, Sainte-Barbe sera érigée en lycée, et M. de Lanneau en sera nommé proviseur. Notez qu’il n’est pas un opposant, un irrégulier : M. de Fontanes lui-même loue son enseignement, son bon esprit, sa correction parfaite, et l’appelle l’universitaire de l’université ; mais il n’en est pas, il se tient à côté et chez lui, il ne veut pas être engrené dans la manufacture impériale, y devenir un simple rouage. Parlant, qu’il le sache ou qu’il l’ignore, il lui nuit, et d’autant plus qu’il prospère davantage ; la plénitude de sa maison fait le vide dans les lycées ; plus il a d’élèves, moins ils en ont. — Par essence, les entreprises privées font concurrence à l’entreprise publique.

C’est pourquoi, si celle-ci les tolère, c’est à contre-cœur et parce qu’elle ne peut pas faire autrement ; elles sont trop nombreuses, l’argent et les moyens manqueraient pour les remplacer toutes et d’un seul coup. D’ailleurs, en fait d’enseignement, comme de toute autre fourniture ou commodité, les consommateurs répugnent naturellement au monopole : il faut les y plier par degrés, les conduire à la résignation par l’habitude. Ainsi l’État peut laisser vivre les entreprises privées, au moins à titre provisoire. Mais c’est à condition de les maintenir dans la plus étroite dépendance, de s’arroger sur elles le droit de vie et de mort, de les réduire à l’état de tributaires et de succursales, de les utiliser, de transformer leur rivalité native et nuisible en collaboration fructueuse et forcée. — Non-seulement pour naître et, si elles sont nées, pour subsister, les écoles privées doivent obtenir de l’État permission expresse, faute de quoi elles sont fermées et leurs chefs punis[1], mais encore, même pourvues de leur brevet, elles vivent sous le bon plaisir du Grand-Maître, il peut et doit les fermer sitôt qu’il reconnaît en elles « des abus graves et des principes contraires à ceux que professe l’Université. » Cependant, l’Université se défraie à leurs frais ; puisqu’elle a seule le droit d’enseigner, elle peut tirer profit de ce droit, concéder, moyennant argent, la faculté d’enseigner à côté d’elle ou d’être instruit à côté d’elle, faire payer à tout chef

  1. A. de Beauchamp, ibid. (Décrets du 17 mars 1808, art. 103 et 105, du 17 septembre 1808, art. 2 et 3, du 15 novembre 1801, art. 54, 55 et 56.) « Si quelqu’un enseigne publiquement et tient école sans l’autorisation du Grand-Maître, il sera poursuivi d’office par nos procureurs impériaux qui feront fermer l’école… Il sera traduit en police correctionnelle et condamné à une amende de 100 à 3,000 francs, sans préjudice de plus grandes peines, s’il était trouvé coupable d’avoir dirigé l’enseignement d’une manière contraire à l’ordre et à l’intérêt public. » — Ibid., art. 57. (Sur la fermeture des écoles pourvues de l’autorisation prescrite.)