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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/253

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d’institution tant pour lui, tant pour chacun de ses élèves ; en somme, ici comme ailleurs, par dérogation au blocus universitaire comme au blocus continental, l’Etat vend aux particuliers des licences. Cela est si vrai que, même dans l’enseignement supérieur où nul ne lui fait concurrence, il en vend : tout gradué qui ouvre un cours de lettres ou de sciences doit, au préalable, payer pour l’année 75 francs à Paris et 50 francs en province ; tout gradué qui ouvre un cours de droit ou de médecine doit, au préalable, payer pour l’année 150 francs à Paris et 100 francs en province[1]. Même droit annuel sur les directeurs d’écoles secondaires, pensions et institutions privées ; de plus, pour obtenir le brevet indispensable, le maître de pension à Paris verse 300 francs, en province 200 francs ; le chef d’institution à Paris verse 600 fr., en province, 400 francs ; en outre, ce brevet, toujours révocable, n’est accordé que pour dix ans ; au bout de dix ans, le titulaire doit en obtenir le renouvellement et payer de nouveau la taxe. Quant à ses élèves, quels qu’ils soient, pensionnaires, demi-pensionnaires ou même gratuits[2], l’Université perçoit sur chacun d’eux une taxe égale au vingtième du prix de la pension entière ; c’est lui, directeur de la maison, qui prélève et verse la taxe ; il en est le collecteur responsable, le comptable et le débiteur. Qu’il n’oublie pas de déclarer bien exactement le prix de sa pension et le nombre de ses élèves : sinon, enquête, vérification, condamnation, restitution, amende, censure et clôture possible de sa maison.

Des règlemens de plus en plus stricts lui serrent la corde au cou, et, en 1811, les articles rigides du dernier décret tirent si fort qu’il ne peut manquer d’étrangler à courte échéance. Napoléon compte là-dessus[3] ; car ses lycées, surtout au début, n’ont pas réussi ; ils n’ont pas obtenu la confiance des familles[4] ; la discipline y est trop

  1. A. de Beauchamp, ibid. (Décret du 17 septembre 1808, art. 27, 28, 29, 30, et arrêté du 7 avril 1809.)
  2. Id., ibid. (Décrets du 17 mars 1808, art. 134, du 17 septembre 1808, art. 25 et 26, du 15 novembre 1811, art. 63.
  3. Ambroise Rendu, Essai sur l’instruction publique, 4 vol. 1819, I, 221. (Note de Napoléon à M. de Fontanes, 24 mars 1808.) « L’Université a l’entreprise de toutes les institutions publiques, et doit tendre à ce qu’il y ait le moins possible d’institutions particulières. »
  4. Eugène Rendu, Ambroise Rendu et l’Université de France (1861), p. 25-26. (Lettre de l’Empereur à Fourcroy, 3 floréal an XIII, pour lui faire inspecter les lycées, et Rapport de Fourcroy après quatre mois d’inspection.) « En général, le tambour, l’exercice et la discipline militaire empochent les parens, dans le plus grand nombre des villes, de mettre leurs enfans au lycée… On profite de cette mesure pour persuader aux parens que l’Empereur ne veut faire que des soldats. » — Ibid. (Note de M. de Champagny, ministre de l’intérieur, écrite quelques mois plus tard.) « Une forte moitié des chefs (de lycée) ou professeurs est, au point de vue moral, dans la plus complète indifférence. Un quart, par leurs discours, leur conduite, leur réputation, déploie le caractère le plus dangereux aux yeux de la jeunesse… Ce qui manque le plus aux chefs, c’est l’esprit religieux, le zèle religieux… Deux ou trois lycées à peine offrent ce spectacle. De là, cet éloignement des parens, qu’on attribue à des préjugés politiques ; de là, la rareté des élèves payans ; de là, le discrédit des lycées. L’opinion est unanime à cet égard.