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militaire, l’éducation n’y est pas assez paternelle, les proviseurs et professeurs ne sont que des fonctionnaires indifférens, plus ou moins égoïstes et mondains ; pour surveillans et maîtres d’étude on n’y trouve que d’anciens sous-officiers, rudes et mal embouchés ; les boursiers fournis par l’État y apportent « les habitudes toutes faites d’une mauvaise éducation » ou l’ignorance d’une éducation presque nulle[1], en sorte que, pour un enfant bien né, bien élevé, leur camaraderie est disproportionnée, et leur contact aussi nuisible que choquant. Par suite, pendant les premières années, les lycées[2], uniquement peuplés de quelques boursiers, restent déserts ou mal habités, tandis que « l’élite de la jeunesse se presse dans des écoles particulières payées plus ou moins chèrement. » — Cette élite dérobée à l’Université, il faut la reprendre ; puisque la jeunesse ne vient pas aux lycées par attrait, elle y viendra par nécessité ; à cet effet, on resserre les autres issues, on en barre plusieurs ; bien mieux, on fait converger toutes celles qu’on tolère en un seul débouché central qui est un établissement universitaire, tellement que le directeur de chaque école privée, transformé de concurrent en fournisseur, sert l’Université au lieu de lui nuire et lui donne des élèves au lieu de lui en ôter. — En premier lieu, la hauteur de son enseignement est restreinte[3] ; même à la campagne et dans les villes qui n’ont ni lycée ni collège, il n’enseignera rien au-dessus d’un degré fixé : s’il est chef d’institution, ce degré ne dépassera pas les classes d’humanités ; il laissera aux Facultés de l’Etat leur domaine intact, calcul différentiel,

  1. Histoire du collège Louis-le-Grand, par Esmond, censeur émérite, 1845, p. 267 : — « Qu’étaient les maîtres d’étude ? Des officiers subalternes en retraite, qui conservaient la rudesse des camps et ne connaissaient de vertu que l’obéissance passive… L’âge pour la nomination aux bourses n’étant pas déterminé, le choix de l’Empereur tombait souvent sur des sujets de quinze à seize ans, qui se présentaient avec les habitudes toutes faites d’une mauvaise éducation et une si grande ignorance qu’on était obligé de les envoyer dans les basses classes avec les enfans. » — Fabry, Mémoires pour servir à l’histoire de l’instruction publique depuis 1789, I, 391. « Le premier noyau des pensionnaires (boursiers) fut fourni par le Prytanée. Une corruption profonde à laquelle le régime militaire donne une apparence de régularité, une impiété froide qui se soumet aux pratiques extérieures de la religion comme à des mouvemens d’exercice.., la tradition constante a transmis cet esprit à tous les élèves qui se sont succédé depuis douze ans. »
  2. Fabry, ibid., t. II, 12, et t. III, 399.
  3. Décret du 15 novembre 1811, articles 15, 16, 22.