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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/265

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ligne[1], parmi « les bases de l’enseignement, » « les préceptes de la religion catholique, » et, cette phrase, il l’écrit lui-même, avec une intention marquée ; dans la rédaction primitive, le Conseil d’État avait mis : la religion chrétienne ; c’est Napoléon qui, dans le décret définitif et publié, remplace le mot plus large par le mot plus étroit[2]. En cela, il est politique, il fait un pas de plus dans la voie où il est entré par le Concordat, il veut se concilier Rome et le clergé français, il a l’air de mettre la religion à la plus haute place. — Mais ce n’est qu’une place d’apparat, semblable à celle qu’il assigne aux dignitaires ecclésiastiques dans les cérémonies publiques et sur le tableau des préséances. Il ne se préoccupe pas d’aviver ou même de préserver la croyance intime : loin de là ; « on doit faire en sorte, dit-il[3], que les jeunes gens ne soient ni trop bigots, ni trop incrédules : ils doivent être appropriés à l’état de la nation et de la société. » Tout ce qu’on exigera d’eux, ce sont des respects extérieurs, l’assistance physique aux offices du culte, une courte prière latine expédiée et marmottée au commencement et à la fin de chaque classe[4], bref, des pratiques analogues aux coups de chapeau, aux actes publics de déférence, aux attitudes officielles que le gouvernement, auteur du Concordat, impose à son personnel militaire et civil. Eux aussi, les lycéens et collégiens, ils en seront, ils en sont déjà, et Napoléon prépare ainsi, dans son personnel enfantin, son personnel adulte.

En effet, c’est pour lui-même qu’il travaille, pour lui seul, et point du tout pour l’Église dont l’ascendant nuirait au sien ; bien mieux, en conversation intime, il déclare qu’il a voulu la supplanter : s’il a fait l’Université, c’est d’abord et surtout « pour enlever l’éducation aux prêtres[5]. Ils ne considèrent ce monde que comme une diligence pour conduire à l’autre, » et Napoléon

  1. Décret du 17 mars 1808, article 38.
  2. Pelet de la Lozère, ibid., 158.
  3. Id., ibid., 168 (séance du 20 mars 1806.)
  4. Hermann Nieraeyer, Beobachtungen auf einer Deportation-Reise nach Frankreich im J. 1807 (Halle, 1824), II, 353. — Fabry, Mémoires pour servir à l’histoire de l’instruction publique, III, 120. (Documens et témoignages d’élèves montrant que la religion n’est pratiquée dans les lycées que comme un cérémonial.) — Id., Riancey, Histoire de l’instruction publique, II, 378. (Rapports de neuf aumôniers des collèges royaux en 1830 prouvant que ce même esprit a subsisté pendant toute la Restauration : « Un enfant, envoyé dans une de ces maisons composée de 400 élèves pour y passer les huit années scolaires, n’a que huit ou dix chances favorables à la conservation de sa foi ; tout le reste est contre lui, c’est-à-dire que, sur quatre cents chances, il y en a trois cent quatre-vingt-dix qui le menacent d’être un homme sans religion. »
  5. Fabry, ibid., III, 175. (Paroles de Napoléon à un membre de son conseil.) — Pelet de la Lozère, ibid., 161 : « Je ne veux pas que les prêtres se mêlent de l’éducation publique. » — 167 : « L’établissement d’un corps enseignant sera une garantie contre le rétablissement des moines ; ils seraient, sans cela, rétablis d’un jour à l’autre. »