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une compagnie de « jésuites laïques, » reprend à son compte le double procédé que ses devanciers, les anciens jésuites, avaient si bien employé dans l’éducation : d’une part, la direction continue et la surveillance incessante ; d’autre part, l’appel aux amours-propres et les surexcitations de la parade en public. Si l’élève travaille, ce n’est point pour apprendre et savoir, mais pour être le premier de sa classe ; on ne développe pas en lui le besoin de la vérité et l’amour de la science, mais la mémoire, le goût, le talent littéraire, tout au plus la faculté logique d’ordonner et de déduire, mais surtout le désir de devancer ses rivaux, de se distinguer, de briller, d’abord dans le petit public de ses camarades ! ensuite, au bout de l’année, devant le grand public des hommes faits. De là, les compositions de chaque semaine, l’échelle des rangs et des noms, toutes les places numérotées et proclamées ; de là, ces distributions de prix annuelles et solennelles dans chaque lycée, et au grand concours des lycées, avec pompe, musique, décor, discours, assistance des hauts personnages. L’observateur allemand constate le puissant effet d’une pareille cérémonie[1] : « On se serait cru au spectacle, tant la chose était théâtrale, » et il note le ton oratoire des orateurs, « le feu de leur déclamation, » leur émotion communicative, les applaudissemens du public, les acclamations prolongées, la physionomie ardente des élèves couronnés, leurs yeux étincelans, leur rougeur, la joie et les larmes des parens. Sans doute, le système a ses inconvéniens : très peu d’élèves peuvent espérer la première place ; les autres manquent d’aiguillon, et d’ailleurs ils sont négligés par le maître. Mais l’élite fait des efforts extraordinaires, et, avec elle, on obtient des réussites. « Pendant les temps de la guerre, dit encore notre Allemand, j’ai hébergé nombre d’officiers français qui savaient par cœur la moitié de Virgile et d’Horace. » Pareillement, en mathématiques, des jeunes gens de dix-huit ans, élèves de l’École polytechnique, entendent très bien le calcul différentiel et intégral, et, au témoignage d’un Anglais[2], « ils le possèdent mieux que beaucoup de professeurs de la Grande-Bretagne. »

  1. Hermann Niemeyer, ibid., 366 et suivantes. Sur le caractère, les avantages et les défauts du système, ce témoignage d’un témoin oculaire est très instructif et forme un tableau presque complet. Les matières enseignées se réduisent au latin et aux mathématiques ; presque point de grec, et point de langues modernes, à peine une très légère teinture d’histoire et des sciences naturelles, la philologie est nulle ; ce qu’un élève doit connaître dans les classiques, c’est « leur contenu et leur esprit. » (Geist und Inhalt.) — Cf. Guizot, Essai sur, l’histoire et l’état actuel de l’instruction publique, 1816, p. 103.
  2. Travels in France during the years 1814, 1815 (Edimbourg, 1816), t. I, 152.