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V

Cette préparation générale, Napoléon la précise et la dirige dans le sens de sa politique, et, comme il a surtout besoin de soldats, l’école, sous sa main, devient le vestibule de la caserne. Dès l’origine, l’institution a reçu le tour et l’esprit militaires, et cette forme, qui lui est essentielle, devient de plus en plus étroite. En 1805[1], pendant quatre mois, Fourcroy, sur l’ordre de l’Empereur, visite les nouveaux lycées « avec un inspecteur aux revues et un capitaine ou un adjudant-major, qui partout donnent des instructions pour l’exercice et la discipline. » La jeunesse s’y est déjà pliée ; « presque partout, dit-il à son retour, j’ai vu les jeunes gens obéir sans murmure et sans réflexions à des caporaux et à des sergens plus jeunes et plus faibles qu’eux, élevés à un grade mérité par leur sagesse et leur progrès. » Lui-même, quoique libéral, il trouve des raisons pour justifier devant le corps législatif[2] cette pratique impopulaire : aux objections et aux alarmes des parens, il répond « qu’elle est favorable à l’ordre, sans lequel il n’y a pas de bonnes études, » et que d’ailleurs c elle accoutume les élèves au port et au maniement des armes, ce qui abrège leur travail et accélère leur avancement, lorsque la loi de la conscription les appelle au service de l’État. » Roulemens du tambour, attitudes au port d’armes, défilés au commandement, uniforme, galons, tout cela, en 1811, devient obligatoire, non-seulement pour les lycées et collèges, mais encore, et sous peine de clôture, pour les institutions particulières[3]. Rien que dans les départemens qui composaient l’ancienne France, on compte, à la fin de l’Empire, 76,000 écoliers qui étudient sous ce régime d’excitation et de contrainte, « Nos maîtres, dira plus tard un ancien élève, ressemblaient à des capitaines instructeurs, nos salles d’étude à des chambrées, nos récréations à des manœuvres, et nos examens à des revues[4]. » Par toute sa pente, l’École incline vers l’armée et

  1. Ambroise Rendu et l’Université de France, par E. Rendu (1861), p. 25 et 26. (Lettre de l’empereur, 3 floréal an XIII et rapport de Fourcroy.)
  2. Recueil, etc., par de Beauchamp, I, 151. (Rapport au corps législatif par Fourcroy, 6 mai 1806.)
  3. Procès-verbaux et papiers (manuscrits) du conseil supérieur de l’Université, séance du 12 mars 1811, note de l’empereur communiquée par le Grand-Maître. « Le Grand-Maître ordonnera que, dans les pensions et institutions qui existeront, les élèves portent l’uniforme, et que tout se passe comme dans les lycées, suivant la discipline militaire. » Dans le décret conforme du 15 novembre 1811, le mot militaire a été omis ; probablement il a semblé trop cru ; mais il montre la pensée de derrière, la vraie volonté de Napoléon. — Quicherat, Histoire de Sainte-Barbe, III, 126. Le décret fut appliqué « jusque dans les plus petits pensionnats. »
  4. Témoignage d’Alfred de Vigny dans Grandeur et servitude militaires. Même impression d’Alfred de Musset, dans sa Confession d’un enfant du siècle.