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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/317

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langage visible, dans cette mimique expressive ! Pour « montrer ce que le personnage a dans l’âme,  » ce n’est pas seulement le visage, ce sont les mains, c’est le corps tout entier qui doit parler (§ 368) ; il y faut un concert de tout l’être dont les parties, comme accordées par le sentiment, conspirent.

Le problème est d’une étrange complexité qui ajoute à la dignité de l’art qui le résout. Il y a autant de mouvemens que d’émotions (§ 378), bien plus encore, dans la même émotion, les mouvemens se modifient selon ses degrés, selon les conditions, l’âge, le caractère, le sexe de ceux qui l’éprouvent. La femme, l’enfant, l’homme mûr, le vieillard, devant le même fait, n’ont pas la même nuance de la même émotion, ni par suite la même manière de la traduire aux yeux (§§ 299-142 et suiv.). Dans un tableau où tous les personnages doivent participer du même sentiment, être comme enveloppés dans une même atmosphère morale, il faut que cette unité ne soit pas monotonie, qu’elle se varie selon les caractères et les tempéramens. Regardez la foule quand on conduit un condamné au supplice, ou encore quand le prêtre, au moment du saint sacrifice, élève l’hostie consacrée (§ 328). Il n’est pas jusqu’au lieu même où se passe la scène qui ne doive prendre un sens, concourir à l’expression, répondre à la nature, au sentiment et à la dignité des personnages. Dans ce langage au parler délicat, il ne faut pas d’ambiguïté (§ 298), moins encore de contresens. « J’ai vu ces jours derniers, conte Léonard, un ange qui, dans une Annonciation, semblait vouloir chasser Notre-Dame de sa chambre avec des mouvemens qui montraient toute la violence du plus brutal ennemi, et Notre-Dame, comme désespérée, semblait vouloir se jeter par la fenêtre (§ 58). » Il faut que par la physionomie, par le geste, le tableau parle clairement, que l’émotion contagieuse se transmette à ceux qui le regardent, « sinon le peintre n’a rien obtenu (§ 188),  » l’œuvre n’est pas cette œuvre vive, véritable merveille du génie humain, mais je ne sais quelle vaine image, silencieuse et morte.

L’objet de la peinture, ce n’est ni l’imitation de ce qui est, ni l’invention de formes curieuses, mais vides de sens ; l’objet de la peinture, c’est l’âme même, la vie aux nuances sans nombre qui sans cesse en rayonne, c’est l’émotion, la sympathie, l’amour qui nous met en communion avec tout ce qui est humain et nous enrichit des sentimens que nous partageons.

Ainsi, loin de subordonner l’art à la science, le Vinci fait de la science un moyen pour l’art. Certes, le savant reste présent à l’artiste, je le retrouve à chaque page du Traité de la peinture. La vie du peintre est une observation perpétuelle de la nature et de ses formes. Son esprit doit être « à l’image du miroir qui sans cesse