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engendrent par l’esprit, comme d’autres par le corps. Leur génie a quelque chose de contagieux ; il éveille en, d’autres âmes un écho de lui-même ; il est présent à des œuvres qui n’existeraient pas sans lui et qui vivent par elles-mêmes. Avant l’arrivée de Léonard, Milan avait ses peintres, Vincenzo Foppa, Zenale, Borgognone (musée Bréra — Chartreuse de Pavie), des maîtres graves, sérieux, un peu lourds. Dès qu’il apparaît, il les vieillit, il semble les reculer dans le passé. Les jeunes gens viennent à lui. Sauf pour les érudits, il n’y a désormais qu’une école milanaise, celle qu’il a fondée. Comme Raphaël, il a autour de lui quelques élèves qui vivent sous son toit. « Salaï, jeune homme remarquable par sa grâce et sa beauté (Vasari),  » que relève une chevelure aux boucles abondantes, est à la fois son disciple et son serviteur. Il met à l’épreuve la bonté du maître, lui emprunte de l’argent pour satisfaire à ses fantaisies élégantes, pour doter sa sœur, oublie de le rendre, et reçoit par testament la moitié de la vigne donnée par Ludovic à Léonard. Les disciples sont pour ce maître incomparable pleins d’amour et d’enthousiasme. Ils copient ses œuvres, il retouche les leurs. A peine la Cène est-elle achevée qu’ils la répètent, comme la Sainte Anne, comme la Joconde. Beltraffio, Marco d’Oggione, Francesco Melzi, Cesare da Sesto, Andréa Solario, Lorenzo Lotto, pour la plupart nous sont mal connus. Leur personnalité semble se perdre un peu dans celle du maître[1]. Quelques-unes des œuvres les plus remarquables de l’école sont anonymes : par une erreur, qui est vérité en un sens, on les a longtemps données à celui qui les inspira. En toutes vous retrouvez plus ou moins atténué l’esprit du Vinci, le souci du modelé par le clair-obscur, le réalisme et la morbidesse, plus d’âme et moins d’apparat qu’à Florence, une grâce morale, l’insistance sur l’expression, quelque chose, dans les meilleures, de ce mystère qui donne aux images comme l’infini de la vie spirituelle. Bernardino Luini et Gaudenzio Ferrari se détachent du groupe des disciples. Gau-denzio Ferrari est un homme universel qui n’imite pas seulement les œuvres, mais la vie du maître (Lomazzo). Son Concert d’anges de la coupole de Saronno est un chef-d’œuvre de verve et de vie. Les fresques, plus qu’à demi effacées de San-Ambrosio (Milan, Descente de croix), montrent ce que, selon les préceptes du Vinci, il sait mettre de tendresse, de douleur et de grâce dans le mouvement des corps. Bernardino Luini n’est ni un savant ni un philosophe, il se contente d’être un peintre ému et charmant. Il donne

  1. Il serait curieux, par l’étude attentive des œuvres dont l’attribution n’est pas douteuse, de chercher ce que chacun a surtout compris et imité du génie complexe du maître.