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Ce que nous appelons espèce en parlant des plantes ou des animaux n’est, en définitive, que le groupement fait par notre esprit de tous les individus vivans offrant sensiblement la même forme et que nous sommes fondés par empirisme à croire tous unis dans une parenté commune.

Mais si la forme nous apparaît comme un attribut essentiel de la vie, elle ne peut cependant servir à la caractériser, puisqu’il existe aussi des corps qui sont des individus, dans le monde inorganique, en dehors des cristaux. Les planètes, les anneaux de Saturne sont des exemples qui viennent aussitôt à l’esprit. On pourra ranger dans la même catégorie les comètes et les tores de fumée qui sont aussi des individus, qui cessent d’être par le fait même de leur division ou de leur dissociation.

La forme ne suffit donc pas à caractériser l’individu vivant : voyons si les traits généraux et l’aspect extérieur des êtres organisés, plantes ou animaux, ne vont pas nous offrir des signes qui les distinguent des corps purement minéraux.

On a opposé les contours plans ou sphériques, les arêtes vives, les angles définis des cristaux et des corps célestes aux surfaces onduleuses, à la silhouette moins géométrique, plus mollement accusée des plantes et des animaux. Certes, ce caractère n’est pas absolument dépourvu de valeur, de sorte que l’esprit le moins préparé s’y trompe rarement. Parfois le lapidaire, en taillant l’agate, met à découvert de délicates arborisations dans la transparence de la gemme. On les recueille précieusement, les musées en sont pleins, et l’illusion est parfois très vive : vous croiriez avoir sous les yeux une mousse pétrifiée. Il suffit de la loupe, et, au besoin, du microscope pour s’assurer qu’il ne s’agit point là d’un végétal fossile, et découvrir tout un assemblage d’aiguilles cristallines qui n’ont rien de commun avec les délicates articulations et les contours onduleusement dessinés d’une mousse véritable, pas plus que l’arbre de Saturne des alchimistes n’est un buisson vert. Eux-mêmes ne s’y trompaient pas, et c’est seulement au figuré qu’ils nommèrent ainsi l’élégante frondaison de métal qu’ils savaient par un artifice faire naître et grandir sous leurs yeux.

Ce cachet particulier se présente si nettement imprimé sur chaque être vivant et sur chacune de ses parties, il est tellement reconnaissable qu’il guide le naturaliste avec sûreté, même pour affirmer, d’après le moindre débris ou la plus faible empreinte, l’existence certaine à la surface du globe, par-delà des temps prodigieusement lointains, d’êtres qui ont vécu alors et qu’il ne connaît pas. Il en est qui n’ont laissé que leurs traces, et nous affirmons que la vie a passé là, sans savoir souvent si l’être était plante ou animal. Il n’y a pas deux ans que des terrassemens exécutés à Paris même,