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d’en semer les graines l’année suivante : la variation du coloris apparaîtra, et on la verra cette fois s’accentuer sur un grand nombre de pieds, issus de l’individu remarqué l’année précédente, comme un peu dévié de la forme normale. Il portait donc en lui déjà la puissance latente de ces réactions nouvelles qui dans les plantes sorties de lui vont donner naissance à des matières colorantes, c’est-à-dire des espèces chimiques, inconnues jusque-là.

Il appartenait à M. le professeur Armand Gautier d’aller au fond de ces variations que l’homme sait par artifice imposer aux êtres vivans. S’aidant de l’analyse et de la balance, le chimiste nous montre ces apparences nouvelles de végétaux en rapport avec la formation en eux de composés chimiques nouveaux. Et cela dans de telles conditions, qu’on peut dire de tout hybride animal ou végétal, qu’il ne représente pas simplement le mélange ou la combinaison des deux formes dont il dérive, mais qu’il est plutôt encore l’expression de combinaisons moléculaires nouvelles donnant naissance à des composés chimiques intermédiaires. Nous sommes en droit dès maintenant d’affirmer que le sang du mulet, par sa composition intime, diffère autant du sang du cheval que du sang de l’âne : c’est une troisième espèce de sang. Et l’expérience serait certes curieuse à faire, de pratiquer la transfusion du mulet soit au cheval, soit à l’âne ; les probabilités sont pour l’insuccès. Le sang du mulet tuerait sans doute le cheval et l’âne comme ferait le sang de toute autre espèce, parce que ce sang doit avoir sa constitution moléculaire spéciale, harmonique aux formes extérieures du mulet et qui ne doit convenir qu’à lui. Tout au moins, les belles études de M. Gautier sur la matière colorante de trois cépages du Midi nous autorisent à penser ainsi.

On s’accorde à regarder les divers cépages de la vigne européenne comme des variétés d’une même espèce végétale lentement modifiée sous l’influence de l’homme. Or, cette variation presque indéfinie n’a pas eu seulement pour résultat d’avancer ou de retarder la floraison et la maturation, de faire varier les quantités de sucre, de tanin, de matière colorante dans le fruit et les autres parties de la plante. Chacun de ces changemens extérieurs en quelque sorte n’est que la traduction au dehors de certains changemens chimiques. Pour ce qui est de la matière colorante des grains, il y en a, semble-t-il, autant que d’espèces de raisins, et tellement différentes que celles-ci seront solubles dans l’eau et d’autres point ; les unes cristallisent, d’autres restent amorphes ; en voilà qui précipitent en bleu les sels de plomb, d’autres en vert. D’une manière générale, on peut affirmer, d’après les expériences de M. Gautier, que chaque variété de vigne a vu naître en elle une