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l’accident dont se sert ensuite l’éleveur pour arriver à le généraliser, à constituer une race nouvelle.

Il n’est guère à notre connaissance qu’une tentative, — des plus intéressantes, — faite dans cette voie par M. Chabry au laboratoire maritime de Concarneau. Il arrêta son choix, comme animal d’expérience, sur la larve de l’oursin vulgaire. Quelques heures après sa sortie de l’œuf, on la voit comme un point se déplaçant assez vite dans l’eau de mer. Observée au microscope, cette larve a d’abord la forme d’une cloche ; elle prendra plus tard une configuration bizarre qu’on a comparée non sans justesse à un lutrin. On désigne même la larve à ce moment sous le nom latin de pluteus, qui veut dire pupitre. Vers le temps où va se faire ce changement de forme, on voit apparaître dans les tissus de la jeune larve des sortes d’aiguilles calcaires, dites spicules, dont le dessin et la disposition sont identiques chez tous les individus d’une même espèce. Ces spicules sont constituées par du carbonate de chaux que la larve de l’oursin trouve dans l’eau de mer, qu’elle absorbe comme font les racines d’une plante de la potasse contenue dans le sol. Cette chaux traverse les tissus de la larve et s’unit pour un temps à eux avant de se déposer sous la figure demi-cristalline de ces spicules. Il faut remarquer que ceux-ci, bien que présentant un agencement régulier dans la larve, n’ont aucun rapport, tout au moins au début, avec sa forme extérieure et le dessin de ses organes.

M. Chabry se demanda ce qu’il adviendrait si l’on empêchait la formation de ces spicules en essayant d’élever les larves d’oursin dans de l’eau de mer privée de chaux. Comment va se trouver déviée cette forme si singulière de pluteus ? L’entreprise n’était pas sans difficulté. Pour avoir une eau de mer exempte de chaux, il semblait d’abord naturel de la fabriquer. Or malgré tous les soins apportés à la préparer, en se guidant sur les meilleures analyses des chimistes les plus recommandables, M. Chabry n’arriva qu’à créer une eau de mer artificielle où ses larves d’oursin périssaient à peine écloses. Il fallait tenter autre chose : diminuer par des procédés convenables la chaux contenue dans l’eau de mer naturelle. Mais cette chaux est à l’état de sulfate de chaux. Il s’agissait, pour ne pas dénaturer complètement l’eau, de substituer au calcium une autre base. On n’avait guère le choix. Il fallait s’arrêter au sodium qui est en abondance considérable dans la mer : l’infime proportion qui allait s’y trouver en plus, à la place de la chaux, ne pouvait avoir d’influence quelconque.

Les résultats furent très nets. Sans traces de chaux mêlée à l’eau, les larves à peine écloses s’arrêtent dans leur développement et meurent au bout de quelques heures. Si l’élimination du calcium n’est pas tout à fait poussée jusqu’à ses dernières limites