Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/445

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre les animaux à vertèbres et les vers ou les mollusques dont on prétend les faire descendre.

De même que l’apparition de nouveaux composés chimiques jusque-là inconnus sur le globe a été la condition nécessaire de la formation de types organiques nouveaux, de même il semble naturel d’admettre qu’au début la vie, sur notre planète, n’a été en partage qu’à des masses amorphes auxquelles, dans la succession prodigieuse des siècles, après des temps incommensurables, par suite d’un travail intime dans leur substance, ont succédé des êtres dont les contours et les dimensions se sont peu à peu et progressivement définis. Le sentiment de cette nécessité hantait sans doute l’imagination de M. Hœckel quand il croyait reconnaître dans son Bathybius la gelée primordiale d’où étaient sortis tous les êtres vivans.

En revanche, cette notion d’un commencement simple de la vie a trop été perdue de vue par F.-A. Pouchet et les derniers champions de la doctrine des générations spontanées. Cette question de l’hétérogénie, pour laquelle on s’est passionné il y a quelque trente ans, ne relève peut-être pas seulement de l’histoire de la science. Il n’est pas démontré qu’elle soit à jamais résolue. En tout cas, elle ne saurait renaître sous la forme que lui ont donnée ses derniers défenseurs. Leur erreur capitale, dont toutes les autres ont découlé, fut de vouloir dépasser le but en cherchant à créer au fond de leurs matras, non pas de la substance ayant vie, — une parcelle de sarcode ou de protoplasma, — mais un être possédant une forme définie. Dans l’idée moderne qu’il.faut se faire de la vie, la forme nous apparaît comme un épiphénomène résultant de circonstances infiniment nombreuses et infiniment prolongées. Pour tout dire, la forme est par excellence un caractère héréditaire. Elle ne peut exister, nous ne pouvons la comprendre que comme lentement acquise par un modelage mille et mille fois séculaire. Et c’était cette forme, cette figure, cette « psyché » des choses vivantes, comme eût dit Aristote, que les partisans de la génération spontanée prétendaient faire naître dans leurs appareils ! L’objection que nous soulevons ici, — chose assez curieuse, — on ne la leur a jamais faite, et c’est par le détail qu’on a ruiné leur théorie, par la production de faits sapant leurs expériences, mais sans toucher au fond même de la doctrine. Jamais on ne fera apparaître dans une fiole, en combinant tous les élémens imaginables, un animal ou une plante microscopique si simples qu’on voudra, du moment qu’ils ont une configuration définie, parce que celle-ci suppose derrière elle des durées d’existence. Le problème à résoudre n’est pas là : il faudrait créer ce mouvement moléculaire inconnu qui seul constitue la vie et qui entraine tout le reste.