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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/473

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mouvement, toujours pressés de se mêler à toutes les bagarres. Tout s’est borné à quelques réunions plus ou moins tumultueuses, et sauf les meneurs qui avaient un discours à prononcer à la salle Favié, il n’y a pas eu le moindre entrain chez les autres, dans cette masse populaire qu’on appelait à se réjouir, à célébrer le renouveau de germinal. Bref, en dépit du dimanche, toujours plus favorable aux réjouissances publiques, la fête a manqué, et elle a manqué sans doute par plus d’une raison.

D’abord, cette journée du 1er mai avait eu un sinistre prologue dans cette série d’explosions meurtrières qui venaient d’épouvanter Paris. On ne savait pas, on ne pouvait pas savoir jusqu’à quel point l’anarchie se proposait d’être de la fête et de continuer ses exploits en mêlant la dynamite aux prétendues revendications sociales. On va bien par curiosité voir une émeute, une manifestation, une échauffourée ; on ne brave pas aussi lestement ce danger mystérieux des bombes explosibles. L’opinion gardait une impression d’autant plus vive, d’autant plus profonde, qu’elle ne se sentait nullement rassurée par l’indulgence d’un jury par trop troublé à l’égard du principal auteur des derniers attentats. Évidemment la population parisienne n’avait pas eu encore le temps de secouer la panique : elle est restée chez elle ! Il est clair aussi que, de leur côté, les organisateurs de la fête du 1er mai, sans aller jusqu’à désavouer complètement les anarchistes, se sont sentis quelque peu embarrassés ou paralysés par la crainte d’être confondus avec des meurtriers et de braver une opinion irritée. Ils ont jugé prudent de se surveiller dans leurs manifestations. Le souvenir encore tout chaud des récentes explosions a ainsi pesé sur ce 1er mai. C’est peut-être une des raisons qui ont contribué à la paix de la journée. Il y en a sûrement une autre plus décisive encore ; c’est la résolution avec laquelle le gouvernement avait pris ses mesures pour la défense de Paris et des villes qui pouvaient paraître le plus menacées. Le gouvernement, mis en face du danger, n’a plus reculé, et n’a point hésité à déployer des forces partout où le désordre était à craindre. Il n’y a mis ni affectation ni ostentation, il a évité au contraire de montrer ses soldats retenus à leurs postes et demeurés presque invisibles ; il n’a pas laissé ignorer, néanmoins, qu’il faisait bonne garde, qu’il était armé, tout prêt aux répressions nécessaires, si l’ordre était troublé. Il n’est point douteux que cette attitude du gouvernement a pu en imposer et décider de la journée. — La belle affaire, a-t-on dit après coup et non sans quelque ironie, la belle affaire de préserver la cité et d’intimider la sédition avec un appareil militaire si démesuré, avec une armée de quatre-vingt mille hommes réunie à Paris ou autour de Paris ! Que n’aurait-on pas dit, cependant, si le gouvernement avait manqué de prévoyance et de décision, si au lieu de se préparer à tout événement,