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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/503

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du procédé probant, on en avait employé un autre, expéditif, plausible, populaire, aventureux et trompeur. On avait voulu aller vite, commodément, droit, et, pour guide, sous le nom de raison, on avait pris la déraison. Maintenant, à la clarté d’une expérience désastreuse, on était ramené vers la route étroite, escarpée, longue et pénible qui seule conduit, tout à la fois, dans la spéculation, à la vérité, et, dans la pratique, au salut. — Au reste, cette seconde conclusion, comme la première, était un enseignement de l’expérience récente ; il était prouvé désormais qu’en matière politique et sociale les idées peuvent descendre vite, de la spéculation, dans la pratique. Pour écouter, quand on me parle des pierres, des plantes, des animaux et des astres, il faut que je sois curieux ; quand on me parle de la société et de l’homme, il suffit que je sois homme, inclus dans une société ; car alors il s’agit de moi-même, de mes intérêts les plus prochains, les plus quotidiens, les plus sensibles et les plus chers ; en ma qualité de contribuable et de sujet, de citoyen et d’électeur, de propriétaire ou prolétaire, de consommateur ou producteur, de libre penseur ou catholique, de père, fils ou mari, la doctrine s’adresse à moi ; pour me toucher au vif, elle n’a plus qu’à se mettre à ma portée, à trouver des interprètes et des colporteurs. — C’est l’office des écrivains, grands ou petits, en particulier, des lettrés qui ont de l’esprit, de l’imagination ou de l’éloquence, l’agrément du style, le talent de se faire lire ou de se faire comprendre. Grâce à leur entremise, la doctrine, élaborée dans le cabinet du spécialiste et du penseur, se propage par le roman, le théâtre, l’athénée, le pamphlet, le journal et la conversation, par le dictionnaire, le manuel, et, à la fin, par l’enseignement lui-même. Elle entre ainsi dans toutes les maisons, elle frappe à la porte de chaque esprit, et, selon qu’elle s’insinue en lui plus ou moins avant, elle contribue plus ou moins efficacement à faire ou à défaire les sentimens et les idées qui l’adaptent à l’ordre social dans lequel il est compris.

En cela, elle agit comme les religions positives ; c’est qu’à sa manière et à plusieurs égards, elle en est une. D’abord, comme la religion, elle est une source vive, première, intarissable, un haut réservoir central de croyances actives et dirigeantes. Si son bassin public n’est pas rempli par l’afflux intermittent, par les inondations soudaines, par les infiltrations obscures de la faculté mystique, il est alimenté régulièrement, en pleine lumière, par l’apport continu des facultés normales. D’autre part, en face de la foi, à côté de cette divination bienfaisante qui, d’après les besoins de la conscience et du cœur, construit le monde idéal et y conforme le monde réel, elle