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pose l’opération probante qui, analysant le présent et le passé, en dégage les lois du possible et les probabilités de l’avenir. Elle aussi, elle a ses dogmes, les uns définitifs et les autres en train de se faire, par suite, une conception totale des choses, assez vaste et assez nette, malgré ses lacunes, pour embrasser à la fois la nature et l’humanité. Elle aussi, elle rassemble ses fidèles en une grande église, croyans et demi-croyans, qui, avec conséquence ou inconséquence, acceptent son autorité en tout ou en partie, écoutent ses prédicateurs, s’inclinent devant ses docteurs, attendent avec déférence les décisions de ses conciles. Disséminée, encore vague et lâche sous une hiérarchie flottante, la nouvelle église est, depuis cent ans, en voie de consolidation croissante, d’ascendant progressif et d’élargissement indéfini ; incessamment ses conquêtes s’étendent ; tôt ou tard, parmi les puissances sociales, elle sera la première. Même à un chef d’armée, même à un chef d’État, même à Napoléon, il est utile d’être un de ses grands dignitaires ; dans une société moderne, le second titre ajoute au prestige du premier : — « Traitement de Sa Majesté l’Empereur et roi comme membre de l’Institut, 1,500 francs ; » — ainsi commence, dans sa liste civile, l’énumération des recettes. Déjà, en Égypte, avec intention et avec effet, il mettait en tête de ses proclamations : « Bonaparte, général en chef, membre de l’Institut. » — « J’étais sûr, dit-il, d’être compris par le dernier tambour. »

Un tel corps, pourvu d’un tel crédit, ne doit point rester indépendant ; Napoléon ne se contente pas d’être un de ses membres ; il veut s’en emparer, en disposer et s’en servir comme d’un membre, ou, du moins, se ménager sur lui des prises efficaces. Il s’en est réservé de très fortes sur la vieille Église catholique ; il s’en réserve d’équivalentes sur la jeune Église laïque ; et, dans l’un et l’autre cas, il les limite, il les restreint à ce qu’un corps vivant peut supporter. A propos de la science et de la littérature, il pourrait répéter mot à mot ce qu’il a dit à propos de la religion et de la foi : — « Napoléon ne veut pas altérer la croyance de ses peuples ; il respecte les choses spirituelles ; il veut les dominer sans y toucher, sans s’en mêler ; il veut les faire cadrer à ses vues, à sa politique, mais par l’influence des choses temporelles. » — A cet effet, il a traité avec le pape, il a reconstruit à sa façon l’Église de France, il nomme les évêques, il contient et dirige les autorités canoniques. A cet effet, il s’entend avec les autorités scientifiques et littéraires, il les assemble dans une salle, il les assoit sur des fauteuils, il donne à leur groupe un statut, un emploi, un rang dans l’État, bref, il adopte, refond et achève « l’Institut national » de France.