Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/506

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’athéisme, principe destructeur de toute organisation sociale. » En conséquence, les présidens et secrétaires de l’Institut, appelés auprès du ministre, avertiront l’Institut « qu’il ait à mander M. de Lalande, et à lui enjoindre, au nom du corps, de ne plus rien imprimer et de ne pas obscurcir, dans ses vieux jours, ce qu’il a fait, dans ses jours pleins de force, pour obtenir l’estime des savans. » — Dans son futur discours de réception, M. de Chateaubriand, par une allusion au rôle révolutionnaire de son prédécesseur Marie Chénier, avait observé qu’il ne pouvait louer en lui que l’homme de lettres[1], et, dans le comité de réception, six académiciens sur douze avaient accepté le discours. Là-dessus, prudemment, Fontanes, l’un des douze, évite d’aller à Saint-Cloud ; mais M. de Ségur, président du comité, y va ; le soir, au coucher, devant toute la cour qui fait cercle, Napoléon marche sur lui et, avec cet accent terrible qui aujourd’hui vibre encore à travers les lignes mortes du papier muet : « Monsieur, lui dit-il, les gens de lettres veulent donc mettre le feu à la France ! .. Comment l’Académie ose-t-elle parler des régicides ? .. Vous et M. de Fontanes, comme conseiller d’État et Grand-Maître, vous mériteriez que je vous misse à Vincennes… Vous présidez la seconde classe de l’Institut, je vous ordonne de lui dire que je ne veux pas qu’on parle de politique dans ses séances… Si la classe désobéit, je la casserai comme un mauvais club. »

Avertis de la sorte, les membres de l’Institut ne sortiront pas du cercle tracé, et, pour beaucoup d’entre eux, le cercle est assez large. Que dans la première classe de l’Institut, dans les sciences mathématiques, physiques et naturelles, Lagrange, Laplace, Legendre, Carnot, Biot, Monge, Cassini, Lalande, Burckardt et Arago, Poisson, Berthollet, Gay-Lussac, Guyton de Morveau, Vauquelin, Thénard et Haüy, Duhamel, Lamarck, de Jussieu, Mirbel, Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier, poursuivent leurs recherches ; que Delambre et Cuvier, dans leurs rapports trimestriels, résument et annoncent les découvertes ; que, dans la seconde classe de l’Institut, Volney, Destutt de Tracy, Andrieux, Picard, Lemercier et Chateaubriand, si celui-ci veut prendre part aux séances, dissertent sur la langue, la grammaire, la rhétorique, les règles du style et du goût ; que,

  1. De Ségur, Mémoires, III, 457 : — « M. de Chateaubriand composa son discours avec beaucoup d’art : son but évident était de ne déplaire à aucun de ses collègues, sans en excepter Napoléon. Il louait avec une vive éloquence la gloire de l’Empereur ; il exaltait la grandeur des sentimens républicains. » — A l’endroit de son prédécesseur régicide, pour expliquer et excuser ses omissions ou réticences, il rapprochait Chénier de Milton et remarquait que, pendant quarante ans, le même silence avait été observé à l’endroit de Milton en Angleterre.