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IX

Conformément aux traditions de l’ancienne monarchie, aux plans, ébauches et décrets des assemblées révolutionnaires[1], conformément au principe immémorial du droit français qui étend l’ingérence du pouvoir central, non-seulement sur l’enseignement public, mais sur la science, la littérature et les beaux-arts, cet Institut est une créature et un appendice de l’État. C’est l’État qui l’a produit, formé et dénommé, qui lui assigne son objet, son siège, ses subdivisions, ses dépendances, ses correspondances, son mode de recrutement, qui lui prescrit ses travaux, ses comptes-rendus, ses séances trimestrielles et annuelles, qui l’emploie et le défraie. Ses membres reçoivent un traitement, et « les sujets élus[2]doivent être confirmés par le premier consul. » D’ailleurs, Napoléon n’a qu’à dire un mot pour rassembler les voix sur le candidat qui lui agrée, ou pour retirer les voix au candidat qui lui déplaît. Même confirmée par le chef de l’État, l’élection peut être cassée par son successeur ; en 1816[3], Monge, Carnot, Guy ton de Morveau, Grégoire, Garât, David, d’autres encore, autorisés par une longue possession et par leur mérite reconnu, seront rayés de la liste ; du même droit souverain, l’État les admettait et les exclut : c’est le droit du créateur sur sa créature, et, sans pousser le sien jusque-là, Napoléon en use.

Avec une raideur de main et une rudesse extraordinaire, il réprime les membres de son Institut, même quand c’est hors de l’Institut et en leur qualité de simples particuliers qu’ils n’observent pas, dans leurs écrits, les convenances imposées à tout corps public. Sur Jérôme de Lalande, le calculateur astronome et continuateur de Montucla, le coup de férule tombe droit, public, humiliant, et ce sont ses collègues qui, par délégation, lui appliquent le coup : « Un membre de l’Institut, dit la note impériale[4], célèbre par ses connaissances, mais tombé aujourd’hui dans l’enfance, n’a pas la sagesse de se taire, et cherche à faire parler de lui, tantôt par des annonces indignes de son ancienne réputation et du corps auquel il appartient, tantôt en professant hautement

  1. Cf. Louis Liard, l’Enseignement supérieur en France, t. Ier en entier. — Et la loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795) sur l’organisation primitive de l’Institut.
  2. Arrêté du 23 janvier 1803.
  3. Décret du 21 mars 1816.
  4. Correspondance de Napoléon, Lettres à M. de Champagny, 13 décembre 1805 et 3 janvier 1806 : « J’ai vu avec plaisir la promesse qu’a faite M. de Lalande et ce qui s’est passé à cette occasion. »