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commencement du Consulat[1], sur soixante-treize journaux politiques, soixante ont été supprimés ; en 1811, les treize subsistans sont réduits à quatre, et les rédacteurs en chef sont nommés par le ministre de la police. D’autre part, la propriété de ces journaux est confisquée, et l’Empereur, qui s’en est saisi, la concède, pour un tiers, à sa police, pour les deux autres tiers, à des gens de cour ou de lettres, ses fonctionnaires ou ses créatures. D’année en année, sous ce régime incessamment aggravé, les journaux sont devenus si vides que la police, pour occuper et distraire le public, y institue des combats de plume, entre un amateur de la musique française et un amateur de la musique italienne.

Contenu presque aussi rigoureusement que le journal, le livre est mutilé ou ne peut paraître[2]. Défense à Chateaubriand de réimprimer son Essai sur les Révolutions, publié à Londres sous le Directoire. Dans l’Itinéraire de Paris à Jérusalem, on l’oblige à retrancher « plusieurs déclamations sur les cours, les courtisans, et quelques traits propres à exciter des allusions déplacées. » La censure interdit le Dernier des Abencérages, « où elle découvre un intérêt trop ardent pour la cause espagnole. » Il faut lire le registre entier pour la voir à l’œuvre et dans le détail, pour sentir avec quelle minutie grotesque et sinistre elle poursuit et détruit, non seulement chez les écrivains grands ou moyens, mais encore chez les compilateurs et les abréviateurs infimes, dans une traduction, dans un dictionnaire, dans un manuel, dans un almanach, non-seulement des pensées, mais des velléités, des échos, des semblans et des inadvertances de pensées, des possibilités d’appel à la réflexion et à la comparaison : tous les souvenirs de la Révolution et de l’ancien régime, telle mention de Kléber ou de Moreau, tel entretien de Sully et d’Henri IV ; « un jeu de loto[3]qui familiarise la jeunesse avec l’histoire de son pays, » mais qui parle trop « de la famille du grand dauphin, de Louis XVI et de ses tantes ; » le livre général des rêves de Cagliostro et de M. Henri de Saint-Mesmin, » très élogieux pour l’Empereur, excellent « pour remplir de sa présence l’âme des Français, mais d’où l’on doit retrancher trois rapprochemens maladroits que la malveillance ou la

  1. Welschinger, ibid., p. 13. (Arrêté du 17 janvier 1800.) — 117,118. (Arrêtés du 18 février 1811 et du 17 septembre 1813.) — 119 et 129. (Nulle indemnité aux propriétaires légitimes : le décret de confiscation pose en principe que les produits des journaux ne peuvent devenir une propriété qu’en vertu d’une concession expresse faite par le souverain, que cette concession n’a pas été faite aux fondateurs et propriétaires actuels, et que partant leur prétendu droit est nul.)
  2. Id., ibid., p. 196, 201.
  3. Revue critique, ibid., p. 142, 146, 149.