Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/514

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sottise auraient pu relever ; » la « traduction en vers français de plusieurs psaumes de David, » qui ne sont pas dangereux en latin, mais qui, en français, ont le tort de pouvoir s’appliquer, par coïncidence et prophétie, à l’Église comme souffrante et à la religion comme persécutée ; et quantité d’autres insectes littéraires, éclos dans les bas-fonds de la librairie, presque tous éphémères, ram-pans, imperceptibles, mais que le censeur, par zèle et par métier, considère comme des dragons redoutables, dont il doit soigneusement briser la tête ou arracher les dents.

A la prochaine couvée, ils seront inoffensifs ; bien mieux, ils seront utiles, et serviront, notamment les almanachs[1], « à rectifier sur beaucoup de points les idées du peuple ; on sera probablement en mesure pour 1812 d’en diriger la composition, et on les remplira d’anecdotes, de chansons, de récits propres à entretenir le patriotisme et le dévoûment à la personne sacrée de Sa Majesté et à la dynastie napoléonienne. » — A cet effet, la police améliore, commande et paie aussi des œuvres dramatiques ou lyriques de toute espèce, cantates, ballets, impromptus, vaudevilles, comédies, grands opéras, opéras-comiques, cent soixante-seize ouvrages en une seule journée, composés pour la naissance du roi de Rome, et récompensés par 88,400 francs de gratifications. Que l’administration s’y prenne d’avance pour susciter les talens et leur faire porter de bons fruits. « On se plaint[2]de ce que nous n’avons pas de littérature, c’est la faute du ministre de l’intérieur. » De sa personne et au plus fort d’une campagne, Napoléon intervient dans les choses de théâtre. Là-bas en Prusse et chez lui en France, il conduit par la main les auteurs tragiques, Raynouard, Legouvé, Luce de Lancival ; il écoute en première lecture la Mort d’Henri IV et les États de Blois ; il donne à Gardel, compositeur de ballets, « un beau sujet, le retour d’Ulysse ; » il explique aux auteurs comment l’effet dramatique doit, sous leurs mains, devenir une leçon politique ; faute de mieux, et en attendant qu’ils le comprennent, il use du théâtre, comme d’une tribune, pour y faire lire devant les spectateurs les bulletins de la Grande Armée.

D’autre part, dans la presse périodique, il est son propre avocat, le plus véhément, le plus hautain, le plus puissant des polémistes ; longtemps, dans le Moniteur, il a dicté lui-même des articles qu’on reconnaît au style ; après Austerlitz, le temps lui manque pour en

  1. Welschinger, ibid., 251.
  2. Correspondance de Napoléon Ier. (Lettre de l’Empereur à Cambacérès, 21 novembre 1806 ; lettres à Fouché, 25 octobre et 31 décembre 1806.) — Welschinger, p. 236, 244.