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tion qu’il n’appliquerait pas à un Italien, un Allemand ou un Russe.

Comment s’est constitué ce caractère ? Le problème est d’autant plus curieux que l’œuvre de stratification originelle, la superposition primitive des races s’est faite en Angleterre dans le même ordre qu’en France. On vit s’étendre l’une sur l’autre, et aux mêmes époques dans les deux contrées, des couches de Celtes, de Latins et de Germains. Formés des mêmes élémens, les deux peuples se développèrent également vite, mais avec des résultats différens. Longtemps ils se virent sans se comprendre, puis s’imitèrent sans se comprendre ; aujourd’hui ils se comprennent et s’imitent, et continuent à ne pas se ressembler. Le populaire maintient que les Anglais sont des originaux.

L’étude des élémens de ce problème vaut qu’on s’y arrête, car il n’y a pas de meilleur point d’épreuve et de comparaison pour la littérature française que l’anglaise et réciproquement. Tantôt elles sont l’analogue et tantôt la complémentaire l’une de l’autre ; et elles le sont d’une façon d’autant plus intéressante que les grandes phases de leur développement sont contemporaines. Froissart est contemporain de Chaucer, Malherbe de Shakspeare, Molière de Milton, Rousseau de Johnson, Victor Hugo de Tennyson. De plus, elles ont en commun d’être l’une et l’autre des littératures riches, non pas de ces littératures grêles dont il est possible d’écrire l’histoire sans rien omettre ; elles sont sans fond, inépuisables. Sur n’importe quel sujet, dans n’importe quel genre, on peut trouver chez elles cent exemples, et si ce n’est assez, cent autres encore. Pour l’une d’elles on a essayé une fois de tout dire. L’entreprise, commencée il y a cent quatre-vingts ans par les bénédictins, continuée par l’Institut, se poursuit de nos jours. Trente in-quarto ont paru, et l’on n’en est encore qu’à l’année 1317. L’expérience, si on la tente, donnera, dans l’ensemble, le même résultat pour la littérature anglaise.

Le problème de la formation primitive est donc de la plus grande importance, et il n’est pas sans utilité d’en examiner les données périodiquement, à mesure que le permettent de nouvelles études, de nouvelles fouilles archéologiques et la publication de nouveaux documens.


I

Les premiers habitans de l’Angleterre connus des historiens furent des Celtes, appartenant à plusieurs familles dont la plus