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établies et multipliées des tribus qui, contrairement aux présomptions de Tacite, avaient peut-être quitté le doux climat d’Asie pour cette terre déshéritée, et, bien qu’elles en eussent fait à la longue leur patrie, plusieurs d’entre elles, dont les noms sans plus figurent au livre du Romain, ne s’y étaient point attachées à jamais ; leurs migrations allaient recommencer.

Ce groupe de peuples teutoniques, dont les ramifications s’étendaient très loin dans la direction du pôle, se divisait en deux branches principales : la branche germanique proprement dite, qui comprenait les Goths, les Angles, les Saxons, les Hauts et Bas-Allemands, les Hollandais, les Frisons, les Lombards, les Francs, les Vandales, etc., et la branche Scandinave, fixée plus au nord et composée des Danois, Norvégiens et Suédois. La même région, décrite par Tacite, voisine des lieux « où finit la nature, » se trouvait donc renfermer de son temps des peuples qui, plus tard, devaient avoir pour capitales des villes anciennement fondées par des Celtes : Londres, Vienne, Paris et Milan. Bien des siècles avant de s’y établir, ils s’étaient trouvés déjà en contact avec les Celtes, et, au temps de la grande puissance de ceux-ci en Europe, de terribles guerres s’étaient élevées entre les deux races. Mais tout le nord-est, du bas Elbe à la basse Vistule, resta constamment impénétrable ; les tribus germaniques s’y conservèrent intactes. Elles ne s’allièrent à aucune autre, et seules elles auraient pu dire si vraiment on voyait sur leurs plages le char du soleil, sortant de la mer, éclabousser le ciel d’écume salée. C’est précisément de cette région qu’allaient partir des multitudes de barbares pour conquérir à leur tour l’île de Bretagne, changer son nom, et la rebaptiser dans le sang.

A deux reprises, pendant les dix premiers siècles de notre ère, les peuples teutoniques lancèrent, pareilles à des coulées de lave, des hordes sauvages sur le monde civilisé ; la première invasion fut intense surtout au v° siècle, et elle comprit principalement des tribus germaniques proprement dites, Angles, Francs, Saxons, Lombards ; la deuxième exerça ses plus grands ravages au IXe siècle, du temps des successeurs de Charlemagne, et provint en majeure partie des tribus Scandinaves, appelées danoises ou normandes par les chroniqueurs contemporains.

A partir du IIIe siècle après Jésus-Christ, le premier de ces groupes de peuples entre en confuse fermentation. Les tribus germaniques ne se contentent plus de se défendre, reculant peu à peu devant l’envahisseur latin ; d’inquiétans symptômes de revanche se manifestent, semblables aux grondemens qui annoncent les grands cataclysmes de la nature. Les Romains, cependant, tranquilles