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IV

Les Germains d’Angleterre se donnèrent pour la dernière fois un chef à la mort d’Edouard le Confesseur, en 1066 ; ils élurent roi Harold, fils de Godwine. Cette époque est la plus solennelle de l’histoire de la Grande-Bretagne.

À ce moment, un problème redoutable se posait. Divisée, impuissante, incertaine, l’Angleterre ne pouvait demeurer davantage ce qu’elle venait d’être pendant six siècles. Elle était attirée, comme on peut l’être par un vertige, par deux puissances contraires, et elle restait fébrile, doutant de son sort, à mi-chemin entre le Nord qui l’avait en dernier lieu peuplée, et le Midi qui l’avait instruite et christianisée. Des deux parts de nouveaux envahisseurs la menaçaient : quels d’entre eux l’emporteraient ? Si le Nord triomphe, elle sera rattachée pour des siècles aux peuples germaniques dont le développement, surtout le développement littéraire, devait être lent, si lent que beaucoup d’hommes encore vivans ont vu de leurs yeux le grand poète de la race, Goethe, mort en 1832. Si c’est le Midi, l’époque de la préparation sera courte, le développement sera prompt. Comme la France, l’Italie et l’Espagne, elle aura une littérature complète au temps de la Renaissance et pourra produire un Shakspeare, comme l’Italie produisit un Arioste, l’Espagne un Cervantes, la France un Montaigne, un Ronsard, un Rabelais.

L’automne de l’année 1066 vit résoudre le problème. En apprenant l’élection d’Harold, les armées du Nord et les armées du Midi s’assemblèrent, et la dernière des invasions commença.

Les Scandinaves reprirent la mer. Ils étaient conduits par Harold Hardrada, fils de Sigurd, vrai héros d’épopée, qui avait connu maintes guerres et avait jadis défendu de son épée le trône des empereurs d’Orient. Vers le Midi, une autre flotte s’assemblait, commandée par Guillaume de Normandie, lui aussi personnage extraordinaire, bâtard de ce Robert qui s’appelle, dans la légende, Robert le Diable, et qui était parti autrefois pour le pèlerinage de Jérusalem, sans en être jamais revenu. Les Normands de Scandinavie et les Normands de France engageaient la partie dont l’Angleterre était l’enjeu.

Les hommes de Norvège débarquèrent les premiers. Hardrada entra dans York, et l’on put croire un moment que la victoire resterait aux gens du Nord. Mais Harold accourut et écrasa l’armée Scandinave au pont de Stamford ; son frère, le rebelle Tosti, tomba sur le champ de bataille, ainsi que Hardrada. Restaient les Normands de France.