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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/576

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Au XIIIe siècle, nouveau réveil, celui des traducteurs et des imitateurs. On recommence à écrire abondamment en anglais : on fait passer dans la langue indigène les traités pieux et les romans vulgarisés par les vainqueurs. On écrit, comme dit l’auteur du Cursor mundi à la fin du XIIIe siècle, « pour l’amour du peuple anglais, du peuple de la joyeuse Angleterre, » et ce peuple en qui commence à passer, grâce au mélange du sang et au contact, quelque chose de la curiosité et de l’entrain de ses maîtres, prend goût à son tour aux romans d’aventure et au récit de prouesses et d’actes courtois. « On aime entendre des gestes, lit-on encore dans le Cursor mundi ; à lire des romans divers d’Alexandre le Conquérant, de Jules César l’empereur, des guerres terribles de la Grèce et de Troie, où tant de gens perdirent la vie, de Brutus ce baron vaillant, premier conquérant d’Angleterre, du roi Arthur… de Charles et de Roland qui luttèrent contre les Sarrasins… de Tristan et d’Iseult la douce, de la façon dont l’amour leur vint… des histoires sur des sujets divers, des histoires de princes, de prélats et de rois, des chants de toute sorte, de versification variée, écrits en anglais, en français et en latin. »

Donc on s’est tu d’abord ; puis on a repris courage et, oubliant les modèles anglo-saxons, on a traduit, puis imité les modèles français. Un pas restait à faire et le plus important de tous. Il fallait sortir de la pure imitation ; il fallait que l’esprit nouveau et l’esprit ancien se rencontrassent et s’unissent, il fallait, et c’est là une des grandes conséquences de la bataille d’Hastings, que de la littérature anglo-saxonne et de la littérature importée de France, sortît une littérature nouvelle, faite des deux autres et différente des deux autres, la littérature anglaise.


VI

La fusion, lentement préparée, s’opéra au XIVe siècle ; elle fut complète et simultanée en politique comme en littérature. La distinction entre les « Francigenæ » et les « Angligenæ » disparaît avec la suppression, sous Edouard III, du « présentement d’englisherie. » Jusqu’à la quatorzième année du règne de ce prince, toutes les lois qu’un meurtre était commis en Angleterre et que les auteurs demeuraient inconnus, le mort était a priori réputé français, francigena ; libre toutefois au comté de faire la preuve que la victime était seulement un indigène et de s’exempter ainsi de l’amende. Il n’y a plus désormais en Angleterre d’une part des Français et d’autre part des Anglo-Saxons ; il n’y a plus que des Anglais. Il cesse d’y avoir deux langues, l’une d’origine surtout latine, l’autre d’origine surtout germanique ; une nouvelle langue, la langue