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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/628

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Il n’est pas besoin du livret pour comprendre et c’est là la marque d’une bonne œuvre d’art. A l’attitude digne et triste de tous ces officiers et soldats, blessés, mal équipés, poussiéreux, qui, deux par deux, descendent de la forteresse, on devine des vaincus ; à la tranquillité droite de leurs regards, non moins qu’à la fierté des tambours qui marchent à leur tête, battant la caisse, et à la gravité respectueuse avec laquelle les soldats vainqueurs leur présentent les armes, on sent des vaincus irréprochables et glorieux. L’artiste a exprimé simplement et justement, d’une part, dans le général Barbanègre et dans son entourage, la conscience énergique du devoir accompli, d’autre part, dans l’archiduc Jean et dans son état-major l’élan généreux d’une admiration compatissante. Ce n’est donc point la sortie d’Huningue que nous avons sous les yeux, c’est la sortie, dans vingt autres cas presque identiques, de défenseurs vaillans d’une cause perdue devant des vainqueurs courtois, tels que des vainqueurs devraient toujours l’être, si le développement de la noblesse d’âme était toujours en rapport avec le développement de la civilisation matérielle. Outre cette puissance d’expression morale, — la plus rare de toutes, — que M. Détaille a su donner à sa peinture par la disposition nette et parlante de ses figures, par la décision expressive de leurs gestes et de leurs physionomies, il a aussi marqué la date avec une intensité de vision rétrospective presque égale à celle de son maître Meissonier. Les deux tambours, le vieux et le jeune, Barbanègre et toute sa suite, sont à la fois bien Français et bien 1815. La tenue correcte des Autrichiens, l’allure aristocratique des officiers, l’attitude lourde des soldats, sont rendues avec la même sûreté. Peintre d’observation plutôt que d’action, artiste d’émotion contenue plus que de gesticulation violente, sachant aimer et comprendre, dans la vie militaire, ce qu’elle cache de nobles rêves et de sublimes sacrifices, sous la monotonie froide de l’uniforme et de la discipline, M. Détaille a trouvé là un sujet qui lui convenait spécialement. Il n’a jamais groupé, d’une façon si saisissante, sur un petit espace, un si grand nombre de personnages intéressans ; il ne les a jamais dessinés avec plus de fermeté, de caractère, d’entrain, et, bien que son tempérament ne soit pas celui d’un coloriste, il a peint plusieurs parties de sa toile, notamment le fond de murailles, comme un maître peintre. Il suffirait, ce nous semble, d’éteindre un peu, sur la gauche, les vêtemens trop blancs des Autrichiens pour asseoir l’harmonie de cette belle œuvre par la couleur comme elle l’est déjà par le dessin.

Un certain éparpillement de l’effet plutôt qu’un désaccord irrémédiable des tonalités est ce qui nuit, beaucoup plus que de raison, au succès de la grande toile de M. Tattegrain, l’Entrée de Louis XI à Paris, le 30 août 1461. M. Tattegrain est un des artistes qui