Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/627

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
II

Il y aurait lieu d’être surpris du petit nombre de bons ouvrages sur notre histoire nationale fournis par les peintres français depuis les événemens de 1870, si l’on ne savait qu’une bonne peinture d’histoire exige précisément toutes les qualités dont on prêche le mépris à nos artistes, de la réflexion et de la culture d’esprit, de l’observation précise et de la sûreté dans la main, la science du dessinateur et la science du compositeur. Ce n’est ni en accumulant au hasard des études fragmentaires, même excellentes, d’après nature, ni en accoutumant son imagination aux seules rêveries, qu’on se prépare à exécuter des œuvres dans lesquelles la vraisemblance de la mise en scène importe autant que sa clarté et son effet, et dans lesquelles l’intelligence de la réalité contemporaine ne doit servir qu’à la résurrection de la réalité rétrospective. MM. Jean-Paul Laurens et Luc-Olivier-Merson sont à peu près les seuls, qui, dans cet ordre d’idées, aient réuni, durant cette période, toutes les qualités nécessaires. Nous sommes heureux de reconnaître aujourd’hui dans la Sortie de la garnison d’Huningue, le 20 août 1815, par M. Détaille, un de ces ouvrages qui feront honneur, dans l’avenir comme dans le présent, à notre école, et qui portent la marque d’un talent mûr, d’une volonté soutenue, d’une étude attentive : — « Pendant la campagne de 1815, dit le texte, le général Barbanègre, avec 200 hommes à peine, défendit héroïquement Huningue contre 30,000 Autrichiens, commandés par l’archiduc Jean, et ne consentit à sortir de la place, le 20 août 1815, qu’avec les honneurs de la guerre. » — Lorsque l’archiduc Jean vit apparaître le général Barbanègre à la tête d’une cinquantaine d’hommes, il lui demanda où était la garnison : — « La voilà ! répondit fièrement Barbanègre. Alors un sentiment d’admiration s’empara de tous les spectateurs. » — On a reproché à M. Détaille de n’avoir pas traité absolument son sujet, au moins par son côté d’épisode héroïque. Le fait est que, dans sa composition, si habilement groupée, du point où se trouve, à gauche, l’état-major autrichien comme du point où se place le spectateur lui-même, on ne saurait constater le petit nombre des défenseurs d’Huningue, puisque les rangs les plus éloignés de la défilade ne sont pas encore sortis de la porte qui occupe le fond de la scène. Pour nous, ce reproche ne nous touche guère, car, en sacrifiant le côté anecdotique de l’affaire, côté difficile, si ce n’est impossible, à exprimer plastiquement, l’artiste a singulièrement agrandi sa pensée et il a donné à la scène une portée plus générale, sans avoir à employer d’autres moyens que les moyens simples du dessinateur et du peintre.