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baron de Besenval au duc de Chartres arrivant à Versailles après une absence de six mois : « Je vais vous mettre au courant ; ayez un habit puce, une veste puce, une culotte puce et présentez-vous avec confiance. Voilà tout ce qu’il faut pour réussir à la cour. » Arrivée au mot malencontreux, elle s’arrête, confuse, après avoir prononcé la première syllabe. — Apparemment madame attache à ce mot une idée particulière, observe avec bonhomie M. d’Osmond. — Point du tout, repart quelqu’un, c’est, au contraire, que madame n’en peut détacher une idée toute naturelle. — Pour faire diversion, Mme de Rochambeau s’empressa de raconter une amusante espièglerie de feu la duchesse d’Orléans à M. d’Étréhan, celui qu’on appelait : Mon père, bien qu’il n’eût jamais eu de femmes ni d’enfans. C’était un fanatique d’opéra, et, comme le marquis de Lusignan, la Grosse-Tête, un confident de femmes. Tous deux s’étaient arrogé comme un droit cette espèce de confiance, et ils étaient les directeurs de conscience des femmes légères : il ne fallait pour cela que de la modestie résignée et avoir l’air de croire que toutes les intrigues étaient des passions platoniques. Un soir, après dîner, au Palais-Royal, M. d’Etréhan s’endort profondément en attendant l’heure de l’Opéra. Toute la société se retire, sauf la duchesse d’Orléans et Mme de Blot qui, à peine seules, imaginent la mystification suivante : coiffer le bonhomme avec un petit bonnet à papillons, ajouter une rose artificielle, coquettement posée sur l’oreille, beaucoup de rouge, une douzaine d’assassins, puis, les valets mis dans la confidence, le réveiller et l’avertir que l’opéra est commencé. Il s’y rend aussitôt, entre dans sa loge et se penche en avant ; aussitôt un rire général s’élève : le père veut découvrir la cause de cette gaîté, se penche davantage encore, regarde de tous côtés ; l’hilarité redouble, le spectacle est interrompu, et lui de répéter : « Qu’est-ce que c’est ? qu’est-ce que c’est ? » jusqu’à ce que Mlle Tel vînt et lui présentât un miroir qui le lui apprit.

Diderot et les philosophes avaient mis à la mode la chaleur dans la conversation, et, comme elle se mariait fort bien avec le jargon de la sensibilité, Mme de Blot, très passionnée pour Voltaire et Rousseau, estimait l’une et l’autre de bon ton. Pendant une soirée du Palais-Royal, elle s’anima tellement sur la Nouvelle Héloïse qu’elle finit par soutenir qu’une femme véritablement sensible aurait besoin d’une vertu supérieure pour ne pas consacrer sa vie à Rousseau si elle avait la certitude d’en être adorée. À cette déclaration, le duc de Chartres, qui n’aimait pas la secte sentimentale et la persiflait volontiers, l’interrompit et supplia plaisamment chacun des assistans de ne jamais révéler pareil secret, parce que Jean-Jacques, s’il l’apprenait, viendrait infailliblement enlever Mme de Blot, qui serait à jamais perdue pour M. de Blot, le Palais-Royal, ses amis. Mme de