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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/671

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critiquante de Mme de Genlis se montre à découvert ; il y a aussi défaut d’affinités électives, elle n’a point pénétré ou voulu comprendre ces âmes vraiment grandes, et, de penser combien, en disant des choses assez vraies prises une à une, on arrive à peindre faussement un caractère, une telle idée aurait de quoi rendre circonspect le lecteur, inspirer quelque modestie à l’écrivain. C’est d’ailleurs un procédé vieux comme le monde, celui de l’adversaire habile qui frappe en gardant l’apparence de l’impartialité. Aussi bien Mme de Genlis se pipe elle-même, sa vanité donne le change à ses passions, elle croit n’avoir de haine pour personne, pèse mérites et démérites dans une balance de précision ; elle est une justicière, et s’étonnera toujours que les gens visés par ses infaillibles décrets ne s’inclinent point, mais veuillent lui appliquer la peine du talion. Donc c’est grand dommage que Mme de Staël ait été élevée dans l’admiration du phébus et du galimatias, qu’elle ait négligé la lecture des grands écrivains du siècle de Louis XIV, surtout qu’elle n’ait pas été la fille ou l’élève de Mme de Genlis qui lui eût inculqué des principes littéraires, des idées justes et du naturel. Regret plaisant, que l’on peut partager dans quelque mesure, car l’éducation de Corinne aurait changé de direction, et pondéré peut-être son impétueux génie. « Mme Necker l’avait fort mal élevée, en lui laissant passer dans son salon les trois quarts de ses journées, avec la foule des beaux esprits de ce temps, qui tous entouraient Mlle Necker ; et tandis que sa mère s’occupait des autres personnes, et surtout des femmes qui venaient la voir, les beaux esprits dissertaient avec Mlle Necker sur les passions et sur l’amour. La solitude de sa chambre et de bons livres auraient mieux valu pour elle. Elle apprit à parler vite et beaucoup sans réfléchir, et c’est ainsi qu’elle a écrit. Elle eut fort peu d’instruction, n’approfondit rien ; elle a mis dans ses ouvrages non le résultat de souvenirs de bonnes lectures, mais un nombre infini de réminiscences de conversations incohérentes. Mme Necker était une personne vertueuse, calme, sèche et compassée, sans imagination ; elle avait pris, de ses liaisons avec M. Thomas, un langage emphatique qui contrastait singulièrement avec la froideur de ses sentimens et de ses